Nombre total de pages vues

mardi 18 octobre 2016

Yamata-no-Orochi, le Dragon octocéphale - Partie 2 - Susanoo et le Dragon de Koshi

Lors du précédent article, nous étions parvenus au moment où le Kami des Tempêtes (Susanoo) s'était fait bannir de la Haute Plaine du Paradis (les cieux). Les chapitres qui vont suivre nous dévoileront le sort de cet impétueux Kami.

Pour celles et ceux qui n'ont pas encore lu la première partie, je vous recommande d'aller la consulter en vous rendant au lien suivant. Si l'envie de lire directement le second récit vous taraude, voici un court résumé du texte précédent :

Sur l'ordre des grands Kami, Izanagi et sa sœur, Izanami, font jaillir des flots l'archipel du Japon. Passé ce dur labeur, ils peuplent les terres d'une multitude d'Esprits jusqu'au jour funeste où Izanami enfante un Kami du Feu qui la brûle atrocement. Désespéré de voir son épouse le quitter, Izanagi se rend au Yomi (monde souterrain) pour tenter de la retrouver. Effrayé par ce qu'est devenue sa compagne, il s'enfuit et scelle l'entrée du Yomi avec un lourd rocher.

Corrompu par l'impureté du monde d'en bas, le Kami se purifie dans un cours d'eau proche, donnant naissance à Amaterasu (la Megami du Soleil), Tsukuyomi (le Kami de la Lune) et Susanoo (le Kami des Tempêtes). Fier d'avoir engendré seul de tels enfants, il confie à chacun une partie de son royaume et réserve le monde des hommes (encore informe) à Susanoo en lui recommandant de finir sa tâche. Frustré de se voir ainsi confier les corvées de son père, Susanoo se rend au royaume de sa sœur afin de lui faire ses adieux. Méfiante, Amaterasu l'attend sur le pied de guerre. Voulant prouver sa bonne foi, le Kami des Tempêtes lui propose un concours qu'il remporte haut la main. Grisé par la victoire, il saccage le royaume d'Amaterasu et provoque la fuite de sa sœur, qui part se réfugier dans une caverne, emportant avec elle la lumière du Soleil.

Plongés dans les ténèbres, les Kami-gami (l'ensemble des Kami) mettent au point un plan pour faire sortir Amaterasu de sa cachette : ils se rassemblent devant la grotte, rient, dansent et chantent. Attirée par le vacarme, la Megami pousse le rocher et se retrouve face à une Megami plus brillante qu'elle. Hypnotisée par le spectacle, elle ne se rend compte que trop tard qu'elle est face à un miroir et que les Kami ont comblé l'accès à sa retraite.

La lumière du jour revenue, les Kami-gami se rassemblent et jugent Susanoo ; il sera banni dans le monde des hommes avec pour ordre de terminer la tâche de son père...

Partie III - Susanoo face au Dragon de Koshi :

Contrairement aux deux autres, la troisième partie se déroulera différemment. Au lieu d'avoir un texte qui se dévoilera, chapitre par chapitre, avec des extraits du "Kojiki", vous aurez le contenu intégral du "Kojiki" pour le premier chapitre, une version créée par mes soins pour le second (que je vous recommande de lire directement si vous n'aimez pas le style poétique du "Kojiki") et un listing de toutes les variantes pour le troisième.

Il restera encore quelques autres données à aborder mais inutile de mettre la charrue avant les bœufs, passons directement au moment que vous attendez tous : l'affrontement entre Susanoo et Yamata-no-Orochi !

Susanowo against Yamata no Orochi
Estampe (auteur inconnu) représentant Susanoo en train d'affronter Yamata-no-Orochi (qui va surgir des flots).

Susanoo et Yamata-no-Orochi (version du "Kojiki") :

"XVIII - Le serpent à huit têtes

Expulsé, Brave-Brusque-Impétueux {Susanoo} descendit vers Cheveux-d'Oiseau, dans
le delta du fleuve Engrais, Province de Nuages-à-Venir {Izumo}. Lors, il vit des
baguettes flotter, dérivant dans le cours du fleuve. Brave-Brusque-
Impétueux pensa donc qu'il devait y avoir des gens dans le delta et s'en alla
à leur rencontre.

Et arrivant à la hauteur d'un couple de vieillards
sanglotant autour d'une jeune fille,
il demanda plein de mépris : "Vous êtes qui, vous ?"
Alors le vieillard répondit : "Je suis un Supérieur
Terrestre, fils de Maître-des-Grandes-Montagnes.
On m'appelle L'Ancien-du-Coup-de-Pied {Ashi-nadzuchi}, ma femme
L'Ancienne-du-Coup-de-Main {Te-nadzuchi}, ma fille
se nomme quant à elle Merveilleuse-Princesse-de-la-Rizière {Kushinada}."

Et l'autre demanda : "Pourquoi donc pleurnicher ainsi ?"
Le vieillard répondit : "J'avais
à l'origine huit petites filles.
Mais le Serpent à huit têtes de Venant {Yamata-no-Orochi},
est venu chaque année pour m'en dévorer une,
à cette période précise : et il vient
pour prendre la dernière - nous pleurons."
Brave-Brusque-Impétueux demanda :
"À quoi ressemble-t-il ?"
et le vieillard : "Ses yeux sont pareils à l'acide-rouge-sang,
il possède huit têtes et huit queues. Sur son corps
poussent la mousse, les cyprès et les pins.
Il est long comme huit vallées et collines.
Si par malheur quelqu'un veut regarder sa panse,
il le transforme en torche, à coup sûr - sang et flammes."

("Acide-rouge-sang" est tout simplement l'ancien nom du cerisier d'hiver).

Kushinadahime
Partie droite d'une estampe de Toyohara Chikanobu où figurent Kushinada et ses parents : Ashi-nadzuchi et Te-nadzuchi (vous trouverez la version complète du triptyque à la fin de ce chapitre).

Alors Brave-Brusque-Impétueux dit :
"Si c'est ta fille, je te demande de me l'offrir."
Le père dit : "Ce serait un honneur -
mais je ne sais pas même ton auguste nom."
Le premier : "Je suis le céleste grand frère
de Brillante-au-Ciel {Amaterasu}. Et je descends du Ciel,
à l'instant même." Alors les Supérieurs Terrestres,
L'Ancien-du-Coup-de-Pied et L'Ancienne-du-Coup-de-Main,
dirent d'une seule voix : "Oh ! S'il en est ainsi, ce serait un honneur
de vous l'offrir, ô Majesté !"

Brave-Brusque-Impétueux,
prenant et transformant immédiatement la jeune fille
en un peigne bardé d'une multitude de petites dents,
l'accrocha à son auguste chevelure.
Il déclara ensuite aux Supérieurs Terrestres,
L'Ancien-du-Coup-de-Pied et L'Ancienne-du-Coup-de-Main :
"Faites de la liqueur, distillez-là huit fois.
Après cela vous fabriquerez une palissade
dans laquelle vous trouerez huit portes, et vous attacherez
à chacune de ces portes huit petites plates-formes.
Sur chacune d'elles vous poserez une cuve
et dans chaque cuve, un peu de cette liqueur -
puis attendez."

Après avoir tout préparé conformément aux ordres,
ils attendirent et l'on vit venir le Serpent - exactement
comme l'avait prédit le vieillard.
L'image de sa fille se reflétait huit fois
dans les huit cuves à liqueur ;
le Serpent s'empressa d'y tremper ses huit gueules.
Intoxiquée par trop d'alcool, chacune de ses têtes plongea
dans un sommeil profond. Brave-Brusque-Impétueux
saisit alors le sabre long de dix poignées {Ame-no-Habakiri} qu'il arborait
majestueusement sur son flanc
et coupa le Serpent
en morceaux - si bien que la rivière
Engrais fut transformée en un fleuve de sang.
Alors qu'il lui tranchait la panse
le bord de son auguste sabre se brisa.
Comme il trouvait cela étrange, il en fourra la pointe dans la chair :
à l'intérieur il y avait un gigantesque sabre,
aiguisé à l'extrême. Alors il se saisit du gigantesque sabre.
Et comme il trouvait cela étrange,
il en informa Brillante-au-Ciel - c'était
Grand-Sabre-de-Répression-des-Herbes {Kusanagi-no-Tsurugi}.

Susanoo against Yamata no Orochi
Estampe complète de Toyohara Chikanobu. Panneau de gauche : Yamata-no-Orochi en train de jaillir des flots (notez la tête en bas à droite en train de laper dans l'une des coupelles de saké). Panneau central : Susanoo, armé de son épée, Ame-no-Habakiri (vous pouvez apercevoir l'une des queues du Dragon en haut de la scène). Panneau de droite : Kushinada et ses parents observent le combat que livre le Kami des Tempêtes.

XIX - Le palais de L'Impétueux

Brave-Brusque-Impétueux se mit alors à inspecter la Province de Nuages-à-
Venir pour y trouver un lieu où construire un palais ; c'est ainsi qu'il arriva à
L'Impétueux où il fit la déclaration suivante : "Venir ici a purifié mon cœur"
- c'est en ce lieu qu'il érigea donc son palais - raison pour laquelle on l'ap-
pelle désormais L'Impétueux. Lorsque l'auguste Supérieur commença à con-
struire le palais de L'Impétueux, des nuages se formèrent ; alors il déclama
l'auguste chant suivant :

Huit nuages reviennent
Formant comme huit clôtures -
L'octuple clôture
De Nuages-à-Venir
Qui protègera nos femmes.

Après quoi il appela L'Ancien-du-Coup-de-Pied et lui dit : "Je te nomme
chef de mon palais" ; il lui donna le nom de Maître-du-Sanctuaire-de-la-
Rizière-Supérieure-de-L'Impétueux-Qui-Entend-Huit-Fois."
- Chapitres XVIII et XIX du Kojiki, traduits par Pierre Vinclair.

Comme vous avez pu le constater, dans cette version, Susanoo ne semble pas vraiment être un personnage qui attire la sympathie... Bourru et d'un mépris qui frise la grossièreté, ses travers sont cependant contreballancés par sa générosité (en espérant qu'elle n'ait pas été motivée uniquement par la perspective d'épouser une jolie damoiselle) puisqu'il se propose pour sauver la fille des Kami terrestres en allant affronter le Dragon.

Susanoo against Yamata no Orochi
Estampe (dont l'auteur m'est inconnu) représentant Susanoo et Yamata-no-Orochi (représenté sous la forme d'un Tatsu ou Ryu). Les bols emplis de saké (au bas de l'image) prouvent qu'il s'agit bien de la bataille entre le Kami des Tempêtes et le Dragon de Koshi).

La suite du chapitre décrit la découverte de l'épée Kusanagi et l'installation de Susanoo à Izumo.

Informations complémentaires :

- Kushinada ou Kushinadahime est l'épouse de Susanoo. Elle donnera naissance à Yashimashinumi, l'ancêtre probable d'Okuninushi le Maître de la Terre.

Kushinada est principalement vénérée au Sanctuaire d'Ikawa (se trouvant dans la Préfecture de Saitama au centre de l'île principale du Japon), dédié au Kami Susanoo. La Megami est également honorée le 15 avril, où elle est symboliquement transportée dans un Mikoshi.

- Le Mikoshi est un palanquin ressemblant à un bâtiment miniature (il est doté de piliers, de murs, d'un toit, le tout rehaussé d'une véranda et de barrières) et servant à transporter les Kami d'un sanctuaire à un autre (principalement pendant les festivals).

- Toyohara Chikanobu (1838 - 1912) est l'un des derniers maîtres de l'estampe. Il étudiera l'art auprès de plusieurs maîtres, dont Utagawa Kuniyoshi (rendez-vous aux "Informations complémentaires" du chapitre intitulé : "L'émergence de la Terre" pour en savoir plus à son sujet). Ses peintures tournent autour de la mythologie Shintoïste, les portraits d'acteurs de théâtre Kabuki et les scènes de batailles contemporaines (peut-être à cause de sa carrière militaire).

Il est possible de voir l'une de ses œuvres au "British Museum" de Londres : le portrait de l'Empereur Meiji.

- Le Tatsu (ou Ryu) est tout simplement le Dragon japonais. Fort similaire au Dragon chinois, un détail permet cependant de faire la différence entre les deux : le nombre de griffes. Le Dragon chinois est représenté avec cinq, quatre ou trois griffes (cinq pour les tenues de l'Empereur et quatre ou trois pour ses dignitaires),tandis que le Ryu n'en possède que trois (vous pouvez vous amuser à vérifier la véracité de cette information en allant regarder attentivement les estampes que j'ai mises à votre disposition).

Susanoo et Yamata-no-Orochi (version personnelle) :

Exilé et humilié, Susanoo arpente son royaume, le cœur lourd et l'âme emplie de doutes. Ses pas finissent par le mener à une rivière. En se penchant pour boire, le Kami remarque une paire de baguettes, emportées lentement mais sûrement par le courant, vers le lointain.

Devinant qu'il y a des habitants dans les parages, Susanoo décide de partir à leur recherche. Après une fouille rapide des environs, il finit par tomber sur un vieux couple en train de se lamenter et d'étreindre une jeune fille dont la beauté et la finesse des traits coupe le souffle au Kami des Tempêtes.

Susanoo and Kushinada-hime
Illustration de Jurithedreamer représentant Susanoo en train de rencontrer les parents éplorés de Kushinada.

Intrigué par la scène, Susanoo demande ce qui plonge ce curieux trio dans le désarroi. Les yeux rougis à force de pleurer, le patriarche - un Kami terrestre nommé Ashi-nadzuchi - se relève et présente sa femme, Te-nadzuchi, et sa fille, Kushinada.

Il explique à Susanoo qu'il avait auparavant huit filles mais qu'il ne lui en reste aujourd'hui plus qu'une. Les autres ont été dévorées les unes après les autres par un Serpent titanesque : Yamata-no-Orochi ! Chaque année, la créature sort de son antre pour lui ravir l'un de ses enfants et le moment fatidique ou Yamata-no-Orochi va dévorer sa dernière fille est arrivé.

Piqué par la curiosité, Susanoo questionne le vieillard sur la créature. Le vénérable Kami décrit la bête comme un serpent à huit têtes aux yeux vermeils et huit queues pareilles à des fouets. Son corps, long comme huit vallées et collines, est parsemé de cyprès, de pins et de mousse. Le vieillard ajoute que, si par malheur, un curieux tente de regarder le ventre du Serpent, l'infortuné aura tôt fait d'être réduit en cendres par les flammes du Dragon de Koshi.

Yamata no Orochi
Représentation moderne de Yamata-no-Orochi (par Csmcomics).

Alors qu'Ashi-nadzuchi lui décrit l'être aux multiple têtes, le regard de Susanoo ne cesse de se poser sur la ravissante fille du Kami de la Terre ; une idée commence à germer dans son esprit. Confiant, le Kami des Tempêtes se présente comme étant le frère d'Amaterasu la Megami du Soleil et demande au vieux couple la main de leur fille, Kushinada.

Honorés, le père et la mère acceptent à une condition : que leur futur gendre se débarrasse de Yamata-no-Orochi avant qu'il ne dévore leur fille bien-aimée.

Se fiant aux paroles du vieillard concernant Yamata-no-Orochi, Susanoo sait qu'il devra mener un combat désespéré contre une créature redoutable. À force de se torturer les méninges comme l'aurait fait Omoïkane (le Kami de la ruse), Susanoo finit par trouver un plan qui pourrait équilibrer ses chances face au Serpent de Koshi.

Susanoo commence par mettre Kushinada en sécurité en la changeant en un ravissant peigne, pourvu de multiples dents, qu'il fixe sur sa chevelure. Ensuite, il se tourne vers les Kamis de la Terre et leur expose son plan. Tout d'abord, il leur demande de préparer du saké qui sera distillé huit fois et versé dans huit cuves dont le fond reflétera l'image de Kushinada afin d'attirer la bête. Ensuite, il leur fait construire une haute palissade de rondins, percée de huit portes, qui s'ouvrent vers l'intérieur de l'enceinte, où les huit cuves de saké seront posées sur des plates-formes.

Le piège achevé, Susanoo se dissimule dans les fourrés et ordonne à Ashi-nadzuchi et Te-nadzuchi d'aller faire de même.

Conformément à la prédiction du Kami de la Terre, Yamata-no-Orochi ne tarde pas à venir au rendez-vous. Un concert de sifflements et de raclements annonce alors son arrivée.

Yamata no Orochi
Illustration de Darin Radimaker représentant Yamata-no-Orochi paré de son manteau végétal (avec cependant moins de têtes et de queues que l'original).

L'immense créature aux huit têtes semble traîner sur son dos une véritable forêt luxuriante. Sentant l'air de ses huit langues bifides, le Dragon remarque une odeur insolite provenant d'un tas de bois empilé dans un coin. Traînant son lourd et sinueux corps, la créature examine l'ouvrage pour y déceler une faille. Une de ses têtes, en poussant l'une des huit portes du museau, se retrouve face à une image de sa proie baignant dans un liquide à l'odeur alléchante. Curieuse, la créature trempe une fois sa langue dans le saké, puis deux fois, trois fois, ... si bien que les sept autres têtes s'engouffrent dans les sept autres portes pour se gaver du précieux alcool.

Peu habitué à boire, Yamata-no-Orochi, aurait déjà été fin saoul avec du saké normal, mais avec celui-ci, distillé huit fois, en un clin-d'œil, il dodeline des têtes et s'effondre au sol pour ronfler comme un sonneur.

Voyant que son plan a marché, Susanoo s'extirpe de sa cachette, saisit sa fidèle épée Ame-no-Habakiri et moissonne les têtes de la pauvre bête assoupie, répandant au passage un véritable fleuve de sang.

Susanoo against Yamata no Orochi
Superbe illustration de Tetsuya Fukuhara mettant en scène le combat de Susanoo et Yamata-no-Orochi.

Voulant s'assurer que Yamata-no-Orochi ne viendra plus jamais dévorer la population locale, le Kami des Tempêtes continue sa sinistre besogne en débitant le corps et les queues de la bête en petits morceaux. Sa tâche est presque achevée, mais, alors qu'il coupe l'une des queues du milieu, la lame est arrêtée par quelque chose de dur qui résonne d'un tintement métallique. Intrigué, Susanoo remarque que le tranchant de sa fidèle épée est émoussé, il décide de farfouiller dans le cadavre du défunt Dragon pour trouver ce qui a pu ébrécher son arme.

Quelle n'est pas sa surprise d'y découvrir une longue épée, à la lame fine et coupante. Susanoo vient de découvrir la Kusanagi-no-Tsurugi !

Voyant là une occasion de se racheter, le Kami des Tempêtes informe sa sœur de sa trouvaille et lui offre l'arme pour effacer le déshonneur qu'il lui avait infligé. Cette arme unique deviendra l'un des trois trésors impériaux du Japon.

Sorti victorieux de son combat contre le Dragon de Koshi et la dette envers sa sœur effacée, Susanoo est en paix avec lui-même. Il rend à sa promise, Kushinada, sa forme d'origine, l'épouse et fait construire un splendide palais dans la Province d'Izumo. Il n'oubliera pas d'honorer ses beaux parents en faisant d'Ashi-nadzuchi le régent de son auguste demeure.

Maintenant que la région est pacifiée, Susanoo devra poursuivre le travail de son parent en terminant la Terre... Mais ça, c'est une autre histoire.

Yamata no Orochi and Susanoo
Autre représentation du Kami des Tempêtes et de Yamata-no-Orochi dans un style proche des estampes (illustration de Yama Orce).

Le chapitre qui va suivre vous dévoilera divers fragments et variantes provenant de morceaux du "Nihon Shoki" et autres textes ayant résumé la légende de Yamata-no-Orochi.

Informations complémentaires :

- Le saké est un alcool de riz japonais ou plus précisément une bière de riz dont le degré d'alcool oscille entre 14 et 17 degrés.

Au Japon, le terme "saké" peut désigner tous les types d'alcools, les gens du cru préfèrent donc l'appeler : nihonshu (littéralement : "alcool japonais").

Variantes et éléments supplémentaires du mythe :

Pour faciliter votre lecture, ce chapitre sera rédigé sous forme de liste qui dévoilera les principales différences (grandes ou petites) qui apparaissent dans les divers contes, légendes, mythes et récits sur le sujet. Commençons donc par...

- Le fleuve Engrais décrit dans le chapitre intitulé "Susanoo et Yamata-no-Orochi" (version du "Kojiki") est considéré par Matthew Meyer comme étant la rivière Hi. Cette subtile différence est de taille puisqu'une rivière se jette dans une autre rivière ou dans un fleuve, tandis qu'un fleuve se déverse directement dans la mer ou l'océan.

Après moult recherches sur la géographie de l'ancienne Province d'Izumo (appelée aujourd'hui : "Préfecture de Shimane"), située dans la partie Nord Ouest de l'archipel, j'ai découvert que la rivière Hi s'appelle désormais "rivière Hii". Le traducteur du "Kojiki" a donc pu mal interpréter les textes ou commettre une petite erreur de distraction.

- Certains textes et contes relatent que Susanoo aurait construit le piège pour appâter le Dragon avec l'aide des villageois du coin (et non grâce aux efforts du vieux couple de Kami de la Terre). Étant donné, qu'à ma connaissance, aucun texte officiel ne mentionne ce détail, il faut supposer qu'il s'agit d'un rajout employé pour romancer le mythe (dans le but de le rendre moins surréaliste aux lecteurs).

- Dans le "Kojiki" et ma version personnelle, Susanoo leurre Yamata-no-Orochi en utilisant des cuves emplies de saké - distillé huit fois - dont le fond laisse voir l'image de sa proie, Kushinada.

Yamata no Orochi and Susanoo-no-Mikoto
Susanoo semblant jaillir d'une des cuves de saké avec dans son dos Yamata-no-Orochi sous la forme d'un Ryu (illustration de Julie A. Wright).

"Le dit des Heiké" nous offre une variante ou des précisions supplémentaires à ce sujet :

"...il {Susanoo} changea la jouvencelle {Kushinada} en un peigne à cinq cents dents et la cacha dans sa chevelure, versa du saké dans huit vaisseaux, confectionna l'effigie d'une belle fille et la dressa au sommet d'une haute colline. L'image s'en refléta dans le saké."
- "Le dit des Heiké - Cycle épique des Taïra et des Minamoto", extrait du livre onzième, traduit par René Sieffert.

Cette version nous montre l'ingéniosité du Kami des Tempêtes, qui crée une réplique de la proie du Dragon et la place de telle manière que la lumière reflète l'image de l'épouvantail dans le saké.

D'autres textes changent légèrement ce détail de l'histoire. Dans "Le Dragon" (de Jean-Paul Ronecker) et "Les Dragons - Histoire, Mythes et Représentations" (de Karl Shuker), les "cuves réfléchissantes" sont remplacées par de simples tonneaux ou barils (d'autres recueils de contes font de même mais pour vous éviter une assommante énumération, je vous laisse faire vos propres recherches à ce sujet). Une autre variante - assez originale - de ce type peut-être trouvée dans l'ouvrage intitulé : "Quinze légendes extraordinaires de Dragons" (de Françoise Rachmuhl). Cette fois, les barils ou les cuves sont remplacés par des vases (le Dragon a dû se donner un mal de chien pour boire sans les briser)...

Si vous êtes déjà allés dans un restaurant japonais, vous avez peut-être eu la chance de vous faire servir - comme digestif - un verre de saké. En examinant le fond du récipient, vous avez eu la vision d'une jolie demoiselle (ou d'un damoiseau selon vos préférences) fort peu vêtue. Vision qui s'est dissipée dès que votre verre a été lampé (vous obligeant à mettre la main au portefeuille pour pouvoir vous rincer à nouveau l'œil - et le gosier).

Le principe de ce phénomène est "simple" : le fond du verre - garni d'une photo osée - est recouvert d'une lentille de verre convexe (surface bombée) qui disperse les rayons de lumière dans toutes les directions (au lieu de les réfléchir), ce qui vous empêche de voir l'image. En ajoutant un liquide clair (comme le saké par exemple), les rayons sont "redressés", ce qui vous permet - enfin - de voir plus en détail le fond de votre verre. Pensez à moi la prochaine fois que vous lèverez le coude dans un restaurant nippon.

- L'épée de Susanoo : "Ame-no-Habakiri" (littéralement : "Tueuse de Serpent" ou "Coupe Divine de la Plume" - les traducteurs ne semblent pas d'accord sur le sens réel de ce nom), est appelée dans certaines versions : Worochi no Ara-Masa. L'arme est également mentionnée dans une autre version du "Kojiki" sous le nom de : "Totsuka-no-Tsurugi". L'on apprend également que son propriétaire d'origine n'était nul autre que le Kami Izanagi. Il s'en serait servi pour assassiner son fils, le Kami du Feu Kagu-tsuchi (responsable de la mort de sa mère, Izanami), lors de sa fuite du Yomi et probablement pendant son rituel de purification qui donna naissance à de nombreux Esprits.

Plus tard, l'arme reviendra à Susanoo qui l'offrira à sa sœur Amaterasu pour qu'elle la brise en morceaux lors du rituel d'union. Redevenue intacte par on ne sait quel prodige, la Totsuka servira à vaincre le Dragon de Koshi et s'ébrèchera en percutant la Kusanagi, cachée dans la queue centrale de Yamata-no-Orochi.

- Après avoir tué Yamata-no-Orochi, Susanoo découvre, dans le corps de la bête, la Kusanagi-no-Tsurugi. Si les versions principales du mythe (le "Kojiki" et "Le dit des Heiké" par exemple) placent l'épée dans la queue du milieu du Dragon (n'oublions pas qu'il en a huit), les autres textes diffèrent ou sont plus vagues à ce sujet. Par exemple, dans les "Quinze légendes extraordinaires de Dragons" (toujours de Françoise Rachmuhl), la lame est cachée dans son flanc et c'est en ouvrant en deux la créature que le Kami des Tempêtes découvre le précieux artefact.

Yamata no Orochi
Hormis le fait que la végétation luxuriante ait été remplacée par une sorte de fourrure, cette création de Dysfunctionaldragons semble assez proche des descriptions du Dragon de Koshi.

Il reste encore quelques détails et variantes, mais plutôt que de vous assommer avec une interminable liste, je vous propose de passer, séance tenante, au chapitre suivant, où nous examinerons le Dragon Yamata-no-Orochi sous toutes les coutures.

Informations complémentaires :

- Matthew Meyer est un blogueur originaire du New-Jersey. Passionné par le folklore japonais. Il a publié deux ouvrages consacrés aux Yokai : "The Night Parade of One Hundred Demons" (littéralement : "La Parade Nocturne des Cent Démons", en référence au défilé annuel de cent différentes sortes de Yokai, censées arpenter les rues du Japon) et "The Hour of Meeting Evil Spirits" (littéralement : "L'Heure de Rencontrer les Esprits Malfaisants").

- Si vous souhaitez en savoir plus sur "Le dit des Heiké" et son auteur, je vous recommande d'aller consulter le chapitre intitulé : "Kusanagi-no-Tsurugi, l'Épée des Empereurs" ainsi que ses "Informations complémentaires".

Yamata-no-Orochi à la loupe :

Entamons ce chapitre en faisant un peu d'étymologie pour découvrir ce que signifie le nom de notre Dragon aux multiples têtes.

Yamata-no-Orochi (en anglais : Yamata no Orochi) signifierait littéralement : "Serpent Géant Aux Huit Têtes" ou "Serpent Aux Huit Ramifications". On désigne parfois cette créature sous le nom d'Orochi ou sous le titre de "Dragon de Koshi". Koshi est le nom de la Province d'origine de la créature. De nos jours, cette partie du Japon est appelée : Région de Hokuriku (située sur l'île principale de l'archipel japonais). Le nom "Orochi" dériverait du mot "Woröti" qui proviendrait d'une forme archaïque de la langue japonaise. Malheureusement, il ne semble pas possible d'en déterminer la signification...

Dragon on Waves - Yamata no Orochi
Partie d'une estampe (intitulée : "Dragon sur Vagues") de Kitao Masayoshi. L'œuvre représente Yamata-no-Orochi en train de jaillir des flots pour aller à la rencontre de Susanoo et Kushinada.

L'origine de la créature est nimbée de mystère. Il est un fait que presque toutes les versions mentionnent qu'elle réside à Izumo. Des extraits du "Kojiki" (hormis la version de Pierre Vinclair) démontrent que la bataille entre Susanoo et Yamata-no-Orochi s'est déroulée au sommet du Mont Sentsu : une montagne japonaise de 1142 mètres de hauteur, se trouvant à cheval sur la Préfecture Tottori et la Préfecture Shimane. Jean-Paul Ronecker appelle ce lieu "Montagne du Serpent". Il ajoute que l'endroit est désormais appelé "Montagne des Huit Nuages" (pour rappel, au Japon, le chiffre huit est associé à la multitude). De son côté, "Le dit des Heiké" nous éclaire sur l'âge de la bête, en précisant qu' "Il est là depuis l'on ne sait combien de milliers d'années". Ce qui tend à montrer qu'il est une créature primordiale (issue des origines).

Yamata-no-Orochi est dépeint dans le "Kojiki", le "Nihon Shoki" et "Le dit des Heiké"comme un serpent pourvu de huit queues et huit têtes dont les yeux "sont pareils à l'acide-rouge-sang" ("Kojiki"). Cette métaphore fait allusion à la cerise d'hiver du Japon. Le "Nihon Shoki" est d'ailleurs plus précis à ce sujet, comme en témoigne cet extrait :

"...its eyes were red, like the winter-cherry..."
- Extrait du "Nihon Shoki" provenant du Wikipedia anglophone consacré à Yamata-no-Orochi.

Dont la traduction littérale donne :

"...ses yeux étaient rouges, pareils à la cerise d'hiver..."
- Extrait traduit du "Nihon Shoki" provenant du Wikipedia anglophone consacré à Yamata-no-Orochi.

La taille de Yamata-no-Orochi est colossale. La bête est - selon le "Kojiki" - longue comme huit vallées et collines. "Le dit des Heiké" en donne une description similaire :

"Le grand serpent en question à huit queues et huit têtes, qui recouvrent huit cimes et s'étendent dans huit vallées."
- "Le dit des Heiké - Cycle épique des Taïra et des Minamoto", extrait du livre onzième, traduit par René Sieffert.

Son corps massif est également recouvert d'une luxuriante végétation dont les espèces qui la compose varient selon les versions. Le "Kojiki" mentionne que sur son dos "poussent la mousse, les cyprès et les pins", le "Nihon Shoki", plus concis, précise que sur le haut de son corps "des sapins et cyprès poussaient" et "Le dit des Heiké" décrit sobrement le fait que "Sur son dos croît une forêt épaisse".

L'échine de Yamata-no-Orochi recèle une véritable orgie de verdure ! Son corps abrite vraisemblablement des représentants de l'espèce hinoki (cyprès du Japon ou Chamaecyparis obtusa), sugi (cèdre du Japon ou Cryptomeria japonica) et n'oublions pas les yeux du Dragon, associés de façon métaphorique à la physalis (dont le fruit est de couleur orangée) que l'on surnomme "cerise d'hiver".

Le ventre du Dragon est le passage où les textes varient le plus. Le "Kojiki" mentionne que "Si par malheur quelqu'un veut regarder sa panse, il le transforme en torche, à coup sûr - sang et flammes." De son côté, Jean-Paul Ronecker, affirme que son corps est "continuellement taché de sang" et "Le Grand Livre des Dragons" (auquel je ne me fie guère) précise que "Son ventre souffrait d'une inflammation répugnante...". Une source (probablement issue du "Nihon Shoki") semble abonder dans le sens de Ronecker et du "Kojiki" puisqu'il énonce que "sur son ventre coulent des rivières de sang entre ses chairs incandescentes". Les écailles ventrales de Yamata-no-Orochi doivent donc être ensanglantées et dégager une chaleur telle qu'elles émettent leur propre lumière (ce qui peut expliquer qu'il soit dangereux de s'approcher de son ventre). Une autre explication est que la bête répugne d'exposer son flanc (partie plus molle et sensible chez bon nombre de Dragons) et protège sa faiblesse en crachant des flammes sur ses adversaires (chose étonnante vu que la créature semble plutôt associée aux éléments de l'Eau et de la Terre).

Yamata-no-Orochi
Illustration d'Hitomi Mori représentant le Dragon de Koshi. Entre ses anneaux, vous pouvez voir à gauche Susanoo et à droite Kushinada.

Comme en témoigne son aspect assez hétéroclite (corps doté de plusieurs têtes et queues, le tout recouvert d'une abondante végétation), Yamata-no-Orochi est facilement classable dans la grande famille des Néo-Dragons (ceux dont l'apparence est si complexe ou étrange qu'ils ne ressemblent pas à des Dragons mais qui sont tout de même liés à la gent draconique par le comportement et les symboliques).

Informations complémentaires :

- Kitao Masayoshi (1764 - 1824) était un peintre japonais de l'Ère Edo, spécialisé dans la réalisation d'estampes.

- Sans certitude, l'hikage serait une sorte de végétal fossile, lié à la famille des lycopodiopsida, dont l'aspect serait proche des lycopodiales ; des plantes vivaces toujours vertes dont la structure fait penser à celle d'un long épi au corps effilé terminé par une pointe jaune.

- La physalis ou physalis alkekengi, que l'on surnomme : cerise d'hiver, amour-en-cage ou lanterne japonaise est une plante de la famille de solanacées (la même que la Mandragore et la belladone donc).

La plante (formée d'une tige centrale et de feuilles de couleur verte) est reconnaissable à ses baies orangées enfermées dans un calice végétal - également orange - qui fait penser à un lampion. Les fruits - malgré le fait qu'ils contiennent des alcaloïdes (substance végétale pouvant être toxique) - sont consommables. Il faut juste éviter de prendre des fruits qui ne sont pas assez mûrs sous peine de finir votre soirée au petit coin... Les baies servent à confectionner des salades, confitures, gelées et tartes.

- Jean-Paul Ronecker est un auteur français spécialisé dans les créatures qui peuplent le folklore et l'origine (ainsi que le symbolisme) des contes et légendes.

- "Le Grand Livre des Dragons" est un ouvrage écrit par Iris Rinkenbach et Bran O. Hodapp. Malgré la liste fort complète des Dragons je ne me fie pas au contenu du livre pour plusieurs raisons : la traduction est parfois fort approximative, les auteurs ne maîtrisent pas toujours leur sujet, ils n'hésitent d'ailleurs pas à faire un gros mélange indigeste de cultures et traditions ; ne parlons pas du fait que certains "spécimens" n'ont d'existence que dans leur imagination.

Le livre est fort intéressant pour découvrir de nouvelles espèces de Dragons méconnues mais il faudra manier son contenu avec des pincettes et ne pas hésiter à faire vos propres recherches pour démêler le vrai du faux.

Symboliques de Yamata-no-Orochi :

Outre son aspect plus qu'exotique (ou chimérique), Yamata-no-Orochi incarne de nombreux symboles connus et méconnus de la dracologie.

Tout d'abord, la lutte entre le héros - Susanoo - et son adversaire Dragon - Yamata-no-Orochi. Ce combat représente souvent l'affrontement du héros solaire opposé au Chaos primordial. Susanoo, le Kami des Tempêtes n'est-il pas le frère de la Kami solaire Amaterasu ? Et son "compère" le Dragon, ne semble-t-il pas là depuis les origines ?

Le principe de base du combat opposant le héros solaire au Chaos peut varier selon les cas. Il représente : le nouveau régime contre l'ancien, l'avancée de l'homme qui "civilise" une contrée en la défrichant et en la rendant cultivable, ... Le Dragon peut donc devenir un Genius Loci (Esprit du Lieu) : une entité ou un Élémentaire qui incarne et garde l'endroit qu'il représente en déchaînant les forces de la Nature. Yamata-no-Orochi colle assez bien à la définition de Genius Loci puisque sa taille - comparée aux collines et vallées - et sa forme - couvert de végétation - l'associe très étroitement avec le lieu où il réside (et accessoirement à l'élément de la Terre). N'oublions pas également le fait que Susanoo, banni par ses pairs, en froid avec sa sœur et humilié a presque perdu son statut de Kami. Tuer le Dragon lui permet de bâtir un nouveau royaume, de réparer sa faute (en offrant à Amaterasu l'épée cachée dans la queue de la créature pour qu'elle lui pardonne) et enfin retrouver sa dignité perdue.

Yamata no Orochi
Création de Rebecca Attewell, probablement inspirée de l'introduction du jeu "Okami" où le Dragon Orochi apparaît sous forme d'ombres chinoises (pour plus de détails à ce sujet, veuillez consulter les "Annexes" consacrées au jeu-vidéo en fin d'article).

Outre le thème du héros solaire, ce mythe est également à rapprocher de celui du Dieu des tempêtes affrontant le Chaos (sous la forme d'un Serpent de Mer qu'on peut aisément relier au Dragon). Un thème qui serait originaire de la religion du peuple Proto-Indo-Européen (qui aurait diffusé leurs traditions, culture et croyances en Europe et dans certaines parties de l'Asie). Ce motif est connu sous le nom de "Chaoskampf", un terme allemand signifiant littéralement : "Lutte Contre le Chaos" dépeignant la lutte de l'Ordre contre le Chaos. Suivant les régions, le Dieu des tempêtes (souvent considéré comme la divinité principale du panthéon) peut être remplacé par un héros populaire ou un personnage représentant la royauté (Hercule lorsqu'il affronte l' Hydre de Lerne par exemple). Susanoo étant le Kami des Tempêtes (et donc une sorte de divinité), celui qui a vaincu le Dragon, fondé un royaume et dont les exploits étaient probablement appréciés du peuple (comme Thor, le dieu nordique du tonnerre, aux prouesses physiques, fort populaires chez le bas-peuple), entre parfaitement dans la catégorie de ces champions de l'Ordre défiant le Chaos.

Scott Littleton, l'anthropologiste américain spécialisé dans la culture indo-européenne a émis la théorie selon laquelle le mythe de Susanoo et Yamata-no-Orochi proviendrait du mythe hindou d'Indra, Dieu de la guerre, du ciel et de la foudre et Trishiras (ou Vishvarûpa), une entité divine dotée de trois têtes. Une version du récit veut que Trishiras ait été fabriqué par Tvashtri (dieu des inventions, des arts et de la forge) pour supplanter Indra. Par peur ou jalousie, Indra tue son concurrent à l'aide de son arme. Une autre version veut qu'Indra tue son adversaire après lui avoir donné du soma (une boisson rituelle comparable au vin) et de la nourriture.

En parlant de nourriture, passons au régime alimentaire délicat et raffiné - à savoir, dévorer une jeune fille une fois l'an - de notre Dragon à huit têtes. Un thème classique et bien connu de la gent draconique. Il peut s'agir d'un sacrifice fait au Genius Loci pour éviter qu'il ne déchaîne sa fureur (en provoquant une inondation par exemple) ou, selon Ronecker, d'un vestige de rites sexuels servant au retour du printemps. Matthew Meyer considère Yamata-no-Orochi comme étant un Tatarigami (littéralement : "Esprit de Malédiction") ; un type d'Esprit japonais doté d'une puissance effroyable et qui n'apporte que la guerre, la famine, la peste et la destruction. Il n'existe pas vraiment de moyen de vaincre de tels êtres mais il est possible de les apaiser en leur dédiant des autels ou en préparant une fête en leur honneur (certains festivals japonais étaient des cérémonies ayant pour but d'apaiser la fureur d'un Tatarigami, comme la fête de Kyoto appelée Gion Matsuri).

Selon certaines théories, le Dragon pourrait être l'incarnation de la vallée et de ses crues (ce qui renforce le côté Genius Loci), de pillards ou de peuplades rivales (donc, une lutte qui oppose le régime en place face à un autre qui tente de le supplanter), tandis que les jeunes filles dévorées auraient pu avoir été offertes en guise de tribut pour éviter un conflit entre deux "nations".

Yamata no Orochi
Illustration de Nicolas Vallée.

Le nombre de têtes, de queues et la taille de la créature (longue comme huit vallées et collines) est également une symbolique à part entière. Au Japon, le chiffre huit représente la multitude ou la variété.

N'oublions pas aussi le lien fort qu'entretient le Dragon avec les Éléments. Son corps couvert de végétation est lié à la Terre, sa proximité avec un cours d'eau - ainsi que la plupart des estampes qui le représentent en train de jaillir des flots - l'associe à l'Eau, son ventre incandescent l'associe au Feu et l'épée engoncée dans sa queue l'attache à l'Air (le nom d'origine de l'épée est : "Ama no Murakumo no Tsurugi", ce qui signifie littéralement : "Épée qui Assemble les Nuages Célestes") et peut-être également au Vide ou au Métal.

Dernier détail à propos de notre ami aux multiples têtes, il semble que le Dragon de Koshi ait eu un fils : le redoutable Oni, Shuten Doji (littéralement : "Petit Ivrogne"). Le "Nihon Shoki" change un peu l'histoire du combat entre Susanoo et Yamata-no-Orochi. Après sa défaite à Izumo, le Dragon décida de s'enfuir dans la Province d'Omi (qu'on appelle aujourd'hui "Shiga") où il rencontra une femme avec qui il s'accoupla. De cette union étrange, naîtra Shuten Doji, un être autrefois humain, qui partage avec son père un trait commun : l'amour de l'alcool et de l'ivrognerie. Par ses méfaits, il sera plus tard considéré comme le Roi des Oni et fera partie des "Trois Grands Yokai Malfaisants"... Mais ceci est une autre histoire.

Maintenant que la créature a été analysée en long, en large et en travers, je vous propose dans les chapitres qui vont suivre de nous intéresser à ce que renferme son appendice caudal central : l'épée qui est devenue l'un des trois trésors impériaux du Japon. Avant de nous plonger dans le fascinant récit de cette arme unique, je vous propose d'en apprendre plus sur les sabres japonais en général.

Si par contre vous souhaitez approfondir vos connaissances sur les Dragons à multiples têtes, je vous invite à vous rendre directement au chapitre intitulé : "Les cousins polycéphales du Dragon de Koshi" (que vous pourrez consultez à la troisième partie).

Informations complémentaires :

- Les Proto-Indo-Européens forment (selon les théories) un peuple (dont l'origine varie selon différentes hypothèses) qui aurait migré entre - 4000 et - 1500, apportant avec eux leur culture, leur langue et leurs coutumes. On pense que les Celtes, Germains, Grecs, Latins, Slaves, Baltes, Iraniens, Arméniens et Indiens sont issus de cette communauté.

- Covington Scott Littleton (1933 - 2010) était un anthropologiste (étude de l'être humain sous tous ses aspects) qui s'est intéressé de près aux mythes indo-européens, au cycle arthurien (lié au Roi Arthur et à sa quête du Graal) et au Shintoïsme.

- Dans le Védisme (religion de l'Inde antique) Indra était un dieu de la guerre, de la foudre des Aryas et l'un des douze fils de la Déesse Aditya (personnification du Soleil). L'apparition de l'Hindouisme (qui emploie encore des textes védiques) fera de ce Dieu tutélaire un Roi des Devas puis un simple roitelet...

- Les Aryas ou Aryens (terme que s'est approprié le parti d'un vilain moustachu pour sa théorie nauséabonde de race germanique supérieure) forment les peuples Indo-Iraniens (faisant partie des Indo-Européens) qui ont migré vers l'Asie pour s'établir en Iran et en Inde.

- Dans le Védisme antique, Le Deva était une puissance prenant la forme de phénomènes naturels et mentaux. Plus tard, le mot Deva sera employé pour désigner les Dieux.

- Pour plus d'informations sur la fête de Gion Matsuri, rendez-vous au chapitre consacré à Susanoo et intitulé : "Susanoo le Kami des Tempêtes".

- Contrairement à la croyance occidentale (issue de la Grèce Antique) qui veut qu'il existe quatre Éléments (l'Eau, la Terre, le Feu et le Vent), les Japonais et Chinois pensent qu'il en existe cinq.

Le Godai (littéralement : "Cinq Grands") est l'ensemble des cinq Éléments au Japon - inspiré du système Bouddhiste. Par ordre croissant de puissance, on retrouve la Terre ("Chi"), l'Eau ("Sui" ou "Mizu"), le Feu ("Ka" ou "Hi"), le Vent ("Fu" ou "Kaze") et le Vide ("Ku"). Il existe parfois un sixième Élément : la Conscience ("Shiki").

La Chine utilise également cinq Éléments mais avec quelques différences. Le Wuxing ou Pinyin (littéralement : "Cinq Phases") est constitué du Bois ("Mu"), du Feu ("Huo"), de la Terre ("Tu"), du Métal ("Jin") et de l'Eau ("Shui")

Le sabre japonais :

Dans la culture populaire japonaise, le sabre représente l'arme de prédilection du Samouraï tout comme en occident, l'épée était la plus fidèle compagne du chevalier.

Katana
Superbe illustration de Steve Argyle.

Arme d'apparat en temps de paix et arme de combat lors des périodes troublées, le sabre faisait partie de l'armement des Bushi puis des Samouraïs. En sus de son utilité pour se défendre ou occire son prochain, cette lame est également vue comme une œuvre d'art fragile (au fil des siècles la conception du sabre s'est complexifiée) un symbole social - seuls les gens aisés (donc souvent de la noblesse) pouvaient avoir les moyens de s'offrir une telle arme - et religieux - le combattant entretient et honore son arme (qu'il considère comme un Kami ou son âme) afin qu'elle lui apporte la victoire sur le champ de bataille.

Comme je l'ai déjà précisé dans les "Informations complémentaires" de l'introduction, les ancêtres des sabres se présentaient sous la forme d'épées courtes à doubles lames droites. C'est seulement vers 950 que les premières lames courbes à un tranchant - qu'on appelle couramment "Katanas" - feront leur apparition.

Outre l'évolution de leur forme, la qualité de ces armes ne cessera d'évoluer, conférant un tranchant plus dur et une lame plus souple à l'instrument de prédilection du Samouraï ; à tel point que les modèles de type Koto auraient été capables de trancher de l'acier sans se briser.

C'est vers la fin de la Période Muromachi (1333 - 1573) qu'apparaîtra le Daisho (littéralement : "Grand-Petit") : une paire de sabres composée d'un Katana (lame courbe à un tranchant de plus de 60 centimètres de long) et d'un Wakizashi (sabre court, similaire au Katana mais dont la taille oscille entre 30 et 60 centimètres de long) que manieront les Samouraïs (il était interdit de manier ces deux armes sans faire partie de leurs rangs, mais l'emploi du Wakizashi était autorisé pour les marchands fortunés). Le Katana devait être fixé du côté gauche, passé dans la ceinture, tranchant vers le haut (sauf si son porteur était un cavalier).

Katana and Wakizashi
Sur cette création de Kendrick Lim, vous pouvez voir un Samouraï maniant un Katana (main gauche) et un Wakizashi (main droite).

Pendant des siècles, le sabre restera l'arme de prédilection des Samouraïs. Mais en 1876, peu après la fin de l'Ère Edo (1603 - 1867) un édit impérial interdira le port du sabre à cette caste guerrière et n'autorisera son maniement que pour la nouvelle armée impériale...

Informations complémentaires :

- Le Bushi (littéralement : "Guerrier Gentilhomme") est un combattant japonais. Confondu à tort avec le Samouraï, le Bushi était un combattant à cheval armé d'un arc (Yumi) et chargé de la protection des clans de la noblesse religieuse. La différence entre les deux castes est simple : le Samouraï est plus soumis à celui qu'il protège mais il appartient à une classe supérieure puisqu'il sert l'Empereur ou la haute noblesse.

- La croyance selon laquelle un Kami habite le sabre d'un Samouraï est fort proche de celle où les objets se voient dotés d'une âme après un siècle d'existence. Ils deviennent alors des Yokai appelés : Tsukumogami (Littéralement : "Kami de 99 ans").

L'arme peut-être imprégnée par le forgeron qui a forgé la lame ou le combattant qui la manie. Si certaines étaient capables de protéger et sauver leur propriétaire, d'autres, plus funestes, avaient la réputation d'être assoiffées de sang... comme les armes crées par l'illustre forgeron Muramasa.

- Muramasa Senji (ou Sengo) était un forgeron réputé de la Province d'Ise qui aurait exercé son art entre le XIV et XVIème siècle.

Si l'identité du personnage reste floue (on pense que plusieurs artisans se sont transmis le nom), la mauvaise réputation de ses armes demeure bien vivace. Selon la légende, Muramasa était une personne violente transmettant la rage qui l'habitait à ses créations. Selon les versions, le sabre une fois dégainé, refusait de rentrer dans son fourreau tant qu'il n'avait pas fait couler le sang (et son propriétaire pouvait être sa cible s'il n'y avait personne pour assouvir ses appétits sanglants) ; les infortunés qui maniaient un sabre Muramasa pouvaient être pris de folie meurtrière ou se suicider via le Seppuku (s'ouvrir le ventre avec son arme).

Je m'étendrais bien encore un peu sur le sujet, mais je préfère vous faire une description complète de ces armes fascinantes dans un article futur plus adapté.

- La création des sabres japonais est divisée en plusieurs périodes (dont vous trouverez la traduction du nom dans les différentes parenthèses) :

- Jokoto ("Anciennes Épées", forgées approximativement jusqu'en 900) ;
- Koto ("Vieilles Épées", fabriquées de 900 jusqu'en 1596) ;
- Shinto ("Nouvelles Épées", fabriquées entre 1596 et 1780) ;
- ShinShinto ("Plus Récentes Épées", fabriquées entre 1781 et 1876) ;
- Gendaito ("Épées Modernes", fabriquées entre 1876 et 1945) ;
- Shinsakuto ("Épées Nouvellement Fabriquées", forgées de 1953 jusqu'à maintenant).

- La Période Muromachi s'étend entre 1333 et 1573. C'est durant cette période que le Japon sera dirigé par les Shoguns de la famille des Ashikaga. Ils établiront leur gouvernement shogunal (Bakufu) à Kyoto.

Principaux modèles de sabres japonais :

Pour vous aider à vous y retrouver dans tout ce armement tranchant,voici la liste et les caractéristiques d'une bonne partie des armes japonaises considérées comme des sabres.

Bokken :

Le Bokken (littéralement : "Sabre de Bois") est une arme en bois (chêne rouge ou blanc) imitant la forme du Katana. utilisée à l'origine pour l'entraînement, le Bokken est également devenu une arme de combat. Miyamoto Musashi, bretteur japonais de renom, était connu pour manier une paire de Bokken au combat.

Miyamoto Musashi
Estampe d'Utagawa Kuniyoshi représentant Miyamoto Musashi armé de ses deux Bokken.

On emploie encore de nos jours le Bokken dans les arts martiaux comme l'Aïkido, l'Iaïdo, le Jodo, le Kendo, ... et j'en passe.

Informations complémentaires :

- Miyamoto Musashi (1584 - 1645) ou Shinmen Takezo de son nom d'origine, était un maître Bushi, un philosophe et un épéiste de renom (le plus fameux du Japon selon les dires). Miyamoto est en réalité le nom de son village de naissance et Musashi (Musashi-no-Kami en fait), un titre honorifique offert par la Cour Impériale faisant de lui le gouverneur de la Province de Musashi (qui se situe aujourd'hui dans la région de Tokyo).

Musashi était un guerrier né. Il tua son premier adversaire à l'âge de 13 ans (un certain Arima Kihei), survécut à une guerre où il fut laissé pour mort, triompha d'une soixantaine de duels, armé d'un simple Bokken (alors que ses adversaires maniaient des sabres), il défia et trucida à lui seul tous les membres de l'école d'escrime Yoshiyoka (plus de soixante adversaires) et il commanda une troupe du Seigneur Ogasawara pour assiéger le château de Hara afin de mater la révolte des chrétiens - menés par Shiro Amakusa.

Loin de ne manier que le Bokken, ce combattant émérite savait également se servir de sa plume. Il rédigea plusieurs manuels sur l'art de manier le sabre - dont le "Go Rin No Sho", un traité de sabre, Kenjutsu, qu'on appelle plus familièrement "Livre des Cinq Anneaux" - qu'il employa dans l'école de sabre qu'il fonda ("Hyoho Niten Ichi Ruy", littéralement : l' "École de la Stratégie des Deux Cieux Comme une Terre").

Miyamoti Musashi on a whale
Estampe d'Utagawa Kuniyoshi représentant Miyamoto Musashi en train de porter un coup de sabre à une baleine (je vous rassure de suite, cette scène n'a jamais eu lieu).

Sur le plan créatif, Musashi est reconnu pour ses calligraphies, ses peintures (dépeignant souvent des volatiles ou des personnes), inspirées du style de l'école Kano et pour ses sculptures (il créait ses propres Bokken).

Loin de délaisser les travaux manuels, il forgea des Tsuba (gardes de sabres) qui peuvent encore être admirés dans divers temples et musées, et collabora aux plans et à l'édification de la ville de Himeji (il supervisa d'ailleurs la construction du château de la cité, un édifice qui fait toujours la fierté des locaux). Il effectua même l'arrangement de certains jardins renommés de l'archipel.

Le plus amusant dans l'histoire c'est que Musashi lui-même affirmait être un autodidacte n'ayant jamais eu besoin de professeur...

- Amakusa Shiro (1621 - 1638 - je précise que ces dates sont incertaines), de son vrai nom Masuda Tokisada, fut le meneur de la révolte de Shimabara qui opposait le Shogunat Tokugawa aux paysans (de confession chrétienne pour la plupart). Lorsque le château de Hara fut pris, Amakusa Shiro et ses troupes furent massacrés, sa tête plantée sur une pique et exposée à la vue de tous en guise d'avertissement.

- La révolte de Shimabara (1637 - 1638) s'est déroulée dans la presqu'île de Shimabara et l'archipel d'Amakusa (situés tous les deux dans le Sud-Ouest du Japon). Cette rébellion est due à plusieurs facteurs : l'influence grandissante des chrétiens (convertis par les missionnaires jésuites) qui éveilla la méfiance du Shogunat Tokugawa et provoqua l'expulsion des missionnaires par décret, la répression des chrétiens, l'apparition de nouvelles taxes qui provoquèrent la famine (la région était plus durement traitée en raison de tensions entre les Daïmio de la région et le Clan Tokugawa), ... Toutes ces raisons finirent par mettre le feu aux poudres et les paysans prirent les armes.

Près de 37 000 personnes (menées par Amakusa Shiro) se retranchèrent dans la forteresse abandonnée de Hara. Après avoir repoussé plusieurs fois leurs adversaires, la lutte pris fin (faute de vivres et de matériel) le 12 avril 1838. Pendant trois jours, les troupes de Tokugawa massacrèrent les opposants. La tête d'Amakusa Shiro fut envoyée à la capitale (Edo) et le château fut démoli.

- L'école Kano est un établissement spécialisé dans la musique et la peinture. Fondée au XVème siècle par Kano Masanobu, les artistes de cette école travaillaient souvent sur des supports peu communs : des paravents et portes coulissantes. Ils aimaient représenter des scènes naturelles avec des oiseaux, plantes, plans d'eau, ... mais étaient également réputés pour leurs paysages monochromes appliqués sur de la soie à l'aide d'encre de Chine.

- Le Kenjutsu (littéralement : "Technique du Sabre") est un art martial japonais pratiqué par les Samouraï s'exerçant au sabre.

- L'Aïkido est un art martial japonais (qui serait apparu au XXème siècle) regroupant un ensemble de techniques à armes et à mains nues. Le pratiquant se sert de la force de son adversaire, non pas pour le vaincre mais pour l'empêcher de nuire (ce qui est proche de la self defense).

Battle of Ikutamori
Estampe triptyque réalisée par Utagawa Kuniyoshi et représentant la bataille d'Ikutamori (un épisode de la guerre de Genpei opposant le clan Taira au clan Minamoto).

- L'Iaïdo (plus ou moins : "La Voie de la Vie en Harmonie") est également un art martial japonais. L'Iaïdo ne se base pas sur la "Technique du Sabre" (le Kenjutsu donc) mais sur l'Iaijutsu, une méthode de combat du XVIème siècle consistant à dégainer son sabre le plus rapidement possible pour occire son adversaire. L'Iaïdo se focalise donc sur l'efficacité, la célérité et la recherche du mouvement parfait.

- Apparenté au Jo-Jutsu, le Jodo (littéralement : "Voie du Bâton") est - encore une fois - un art martial japonais. Fondé au début du XVIIème siècle, le Jodo se pratique à deux avec des Bokken. Le but du Jodo est d'acquérir une meilleure maîtrise de soi, d'apprendre à contrôler ses gestes en combat pour parvenir à contrer efficacement toute agression.

- le Kendo est la version moderne du Kenjutsu.

Au XVIIIème siècle, la pratique du Kenjutsu sera améliorée : le Bokken sera remplacé par le Shinai et la tenue des élèves agrémentées de protections pour permettre des frappes réelles.

Suite à l'interdiction par décret impérial de porter le sabre (1876) et la dissolution de la classe des Samouraï, les arts martiaux tomberont à la trappe jusqu'en 1878 où ces disciplines seront enseignées dans les écoles de police. On ne commencera vraiment à parler de Kendo qu'en 1912.

Les pratiquants engoncés dans un Bogu manient (le plus souvent à deux mains) un Shinai, Bokken ou Katana.

- Le Bogu (appelé Kendo-gu au Japon) est une protection utilisée pour le Kendo. Constituée d'un casque grillagé agrémenté de plaques et couvrant le cou ainsi que les épaules (Men), de gants protégeant les mains et avant-bras (Kote), d'une cuirasse de lamelles de bambou ou de plastique couvrant le torse et le ventre (Do) et d'une série de plaques garnies de cuir ou de coton pour couvrir la ceinture et les cuisses (Tare). Le Bogu pèse entre 6 et 8 kilos.

Dotanuki :

Dotanuki est à la fois le nom d'un sabre et celui de l'école de forgerons (basée dans la Province de Higo) qui a fabriqué cette arme.

Le Dotanuki (fort semblable au Katana) est robuste et doté d'une lame épaisse mais tranchante. Ces sabres étaient conçus pour frapper lourdement (utile à l'époque contre les ennemis revêtus d'une armure) et résister aux batailles... au détriment de la qualité esthétique (contrairement aux Katana qui étaient souvent de véritables œuvres d'art).

Durant la "guerre de sept ans" (une tentative du Japon d'envahir la Corée, de 1592 à 1598), le Daimyo Kato Kiyomasa emmena avec lui plusieurs forgerons de l'école Dotanuki.

Informations complémentaires :

- Ancienne Province du Japon, Higo se situait dans la partie Sud-Ouest de l'archipel. Durant la Période Sengoku, cette partie du Pays du Soleil Levant sera l'un des centres de la religion catholique pour le peuple nippon.

- La Période Sengoku (1477 - 1573) ou Sengoku-jidai (littéralement : "Ère des Provinces en Guerre") sera marquée par des conflits, guerres et intrigues politiques diverses et variées (d'où son nom).

- Kato Kiyomasa (1562 - 1611) était un combattant et l'un des Daimyo (sorte de gouverneur) de la Période Sengoku.

Il participa à plusieurs batailles (dont l'invasion de la Corée) et ses exploits martiaux lui valurent le surnom de Kishokan (plus ou moins : "Général-Démon"). Outre ses prouesses au combat, il était connu pour sa haine viscérale des chrétiens (selon les dires, il aurait ordonné, lors d'une bataille, que soient exécutées les femmes enceintes chrétiennes et pour couronner le tout, que leur progéniture soit décapitée).

Kabutowari :

Arme peu connue, le Kabutowari (littéralement : "Briseur de Kabuto" ou "Briseur de Casque"), que l'on nomme également Hachiwari, est un sabre à la courbure peu prononcée et doté d'une sorte de griffe recourbée (ou de crochet) se trouvant sur la lame, juste avant la garde. Longue de 35 à 45 centimètres, l'arme était le fléau des porteurs d'armure. La griffe pouvait permettre à son porteur de parer les coups adverses, d'accrocher l'arme ennemie, de tirer les cordes maintenant le Kabuto ("Casque") et la cuirasse ; elle servait également d'ouvre-boîtes en séparant les différentes plaques de protection de l'opposant. Pour ce qui est de la pointe et de la lame, la première perçait les parties vulnérables de la cuirasse et la seconde tranchait dans le vif.

Two Samourai in the fight
Deux généraux en train de lutter sous le regard de leurs armées. Estampe d'Utagawa Yoshitsuya.

On pense que la traduction du nom de l'arme est erronée et qu'il serait plus adapté de l'appeler : "Briseur de Crâne". Fendre un Kabuto (qui est, entre autres, un complexe assemblage de plaques de fer ou d'acier rivetés) demanderait une pression colossale. Cependant, en 1992, un maître d'armes a tenté l'exploit de fendre un Kabuto avec un sabre - forgé selon les méthodes traditionnelles mais grossièrement poli et monté. Le résultat n'a pas été à la hauteur des attentes (le casque n'a pas été sectionné) mais il a tout de même infligé une entaille de 13 centimètres sur la pièce d'armure !

Informations complémentaires :

- Utagawa Yoshitsuya (1822 - 1866) ou Yoshitsuya Ichieisai était l'un des derniers maîtres de l'estampe sur bois. Élève d'Utagawa Kuniyoshi (déjà présenté dans les "Informations complémentaires" du chapitre intitulé : "L'émergence de la Terre"), on le connaît surtout pour ces scènes de batailles ou du folklore japonais (notamment de superbes représentations de Ryu - Dragons).

Tatsu
Estampe d'Utagawa Yoshitsuya représentant l'un de ces fameux Ryu (notez les trois griffes pour chaque patte).

Katana :

Sabre le plus connu et symbole de la caste des Samouraïs, le Katana est un sabre courbe à un tranchant d'une longueur dépassant les 60 centimètres. Arme de taille (dont on se sert du tranchant) et d'estoc (dont on emploie la pointe), on manie le Katana aussi bien à une main qu'à deux.

La fabrication d'un tel objet se déroule presque comme un rituel Shinto : le forgeron doit, avant toute chose, se vêtir de blanc et se purifier. La lame est constituée d'une enveloppe dure et d'un noyau souple, ce qui confère à l'arme robustesse et souplesse.

Katana
Création d'Isso09 représentant un combattant en train de dégainer son Katana (comme vous pouvez le remarquer, la lame doit être dirigée vers le haut).

Kodachi :

Souvent confondu avec le Wakizashi (dont il est l'ancêtre), le Kodachi est un sabre de petite taille, apparu à l'Époque de Heian (794 - 1185) ; alors que le Wakizashi a été créé durant l'Ère Muromachi (1333 - 1573). Autre différence entre les deux armes : le Kodachi est souvent plus fin et pourvu d'une courbure plus prononcée. La forme de cette arme est d'ailleurs inspirée du Tachi (voir plus bas dans ce chapitre).

Le Kodachi mesure entre 40 et 65 centimètres de long. On l'utilise par paires au combat rapproché ou comme arme d'entraînement pour les enfants et adolescents.

Informations complémentaires :

- Époque de Heian (794 - 1185) est considérée comme une période de paix qui a permis l'essor de la littérature, de la poésie et des arts. Elle se termine en 1185, pour céder sa place à l'Ère Kamakura (voir plus bas dans ces "Informations complémentaires").

Le revers de la médaille est que cet âge culturel ne profitait qu'à la noblesse (5% de la population du Japon) et que les instances dirigeantes n'étaient pas capables de gérer la nation - pauvreté des habitants, incapacité à produire de l'argent (donc retour au troc), forces de l'ordre peu efficaces (ce qui laissait le champ libres aux vide-goussets), ... Cette mauvaise gestion amènera la caste des Samouraï au pouvoir.

- L'Ère Muromachi (1333 - 1573) est la période de l'histoire japonaise où les Shogun de la famille Ashikaga dirigeaient le Japon (le nom de cette période vient du nom d'un quartier de Kyoto où le troisième Shogun résidait).

C'est à cette période qu'apparaîtront des pratiques culturelles liées à l'image qu'un occidental se fait du Japon traditionnel : la cérémonie du thé, le théâtre Nô, ... C'est d'ailleurs durant l'Ère Muromachi que se tisseront les premiers contacts avec l'Occident (qui amèneront avec eux des "présents" tels que les armes à feu et le christianisme)...

Au XVIème siècle, l'autorité des Shogun sur les Daimyo faiblira et la période s'achèvera lorsque le dernier Shogun sera chassé de Kyoto pour que commence l'Époque d'Azuchi Momoyama.

Nagamaki :

Le Nagamaki ou Nagamaki-naoshi est une arme d'hast (une lame fixée sur un long manche) composée d'une lame courbe de 70 à 100 centimètres de long et d'un manche d'une longueur à peu près équivalente.

Populaire entre le XII et XIVème siècle, le Nagamaki est l'ancêtre du Naginata (les deux se ressemblent hormis le fait que la poignée du Nagamaki est plus courte et conçue comme celle d'un sabre au contraire de le Naginata, plus proche d'une lance). L'arme était maniée par les Bushis et les Ashigarus (littéralement : "Pieds légers"), l'infanterie légère. Il servait principalement à intercepter les cavaliers armés d'arcs ou de Tachi (ancêtre du Katana).

Cette arme fait partie de la famille des Yari : des lances dont la hampe est ornée d'une multitude de lames (des lames droites, larges et courbes pour ce qui est du Naginata et du Nagamaki).

Naginata :

Le Naginata était l'arme de prédilection des moines dans la pratique du naginatajutsu (un art martial japonais qui de nos jours est principalement pratiqué par les femmes).

L'arme est constituée d'une hampe ou plutôt d'un très long manche, terminé par une lame courbe (comme un sabre), pour une longueur totale de près de deux mètres pour les plus longs exemplaires.

Ce long sabre était employé sur les champs de bataille pour sectionner les jarrets des chevaux ou pour affronter l'ennemi plus facilement grâce à une allonge confortable conférée par la longueur de l'arme.

Il existe trois types principaux de Naginatas : le type Kozori (lame fortement courbée), l'Hirumaki (lame similaire au Katana et dotée d'une garde - pièce séparant le manche de la lame et servant à protéger la main de son porteur) et le type Bisen to (lame courbe mais épaisse).

Japanese version of "Jabberwocky"
Ravissante illustration de Corinne Reid adaptant à la sauce japonaise le poème de Lewis Caroll, intitulé : "Jabberwocky". Le Jabberwocky (sorte de Dragon farfelu) devient ici une créature similaire à Yamata-no-Orochi et l'Épée Vorpaline que manie le jeune homme se change en Naginata ou Nagamaki.

Informations complémentaires :

- Jabberwocky (qu'on appelle parfois Jabberwock ou Jaseroque) est à la fois le nom d'un poème de Lewis Caroll (auteur britannique du XIXème siècle bien connu) et celui d'une sorte de Dragon assez... original. Ledit poème se trouve dans l'ouvrage intitulé : "Through the Looking-Glass, and What Alice Found There" (littéralement : "De l'Autre Côté du Miroir et ce Qu'Alice Trouva là").

The Jabberwocky
Le jeune homme, armé de l'Épée Vorpaline en train d'affronter l'énorme Jabberwocky (illustration de John Tenniel).

La particularité de ce texte est qu'il est bourré de termes inventés par l'auteur ce qui a donné naissance à plus de 10 traductions différentes rien qu'en français (c'est d'ailleurs un genre de concours entre les traducteurs).

Vous pouvez trouver une version traduite complète du poème (ainsi que quelques illustrations du Jabberwocky) en allant consulter l'article consacré au jeu "American Mac Gee's Alice" (qui est une adaptation torturée de l'œuvre de Lewis Caroll).

- Sir John Tenniel (1820 - 1914) était un illustrateur britannique. Il est principalement connu pour avoir illustré "Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles" et "De l'Autre Côté du Miroir". Il aurait été également l'un des premiers à représenter le Père Noël en 1850.

No Daichi :

Le No Daichi ou Nodachi (le terme "nodachi" signifie littéralement : "Épée des Plaines" mais on pense que son vrai nom est Odachi, "Épée Longue") est un énorme et lourd sabre de près de 2 mètres de long. Le plus long modèle de Nodachi est un objet, qu'on suppose cérémoniel, mesurant 2,2 mètres de long... L'arme se maniait à deux mains et était efficace en terrain dégagé pour faire face à la cavalerie. Fixée dans le dos de son porteur, il était impossible de la dégainer soi-même, il fallait être secondé par un aide pour pouvoir l'extraire de son fourreau...

Le Nodachi serait né de la volonté conjuguée des forgerons voulant montrer leur talent et celles des guerriers voulant impressionner l'ennemi (par une plus grande longueur de sabre)... ce qui revient au concours de celui qui aura la plus grande. Fort coûteuse, difficile à manier et à forger, cette arme sera abandonnée lors de l'intensification des conflits où il faudra produire de l'armement en masse.

Au XVIème siècle, le Général chinois Qi Jiguang, trouvant cette arme fort pratique, équipera une grande partie de ses troupes de Nodachi.

Informations complémentaires :

- Le Général chinois Qi Jiguang (1528 - 1588) s'est illustré pour sa lutte contre les Wako (pirates japonais qui ont pillé les côtes chinoises et coréennes entre le XIII et XVIème siècle) et son renforcement de la fameuse Muraille de Chine.

Shinaï :

La Shinaï est une arme d'entraînement employée au Kendo et apparue vers le XVII - XVIIIème siècle. Composée à l'origine de quatre lames de bambou (maintenues par des pièces de cuir), ce sabre est très apprécié pour sa flexibilité et sa résistance aux chocs.

Tachi :

Ancêtre de l'Uchigatana et du Katana, le Tachi est un sabre faisant 70 à 80 centimètres de long, employé principalement par la cavalerie en armure et forgé durant la Période Koto (900 - 1596).

Il existe de multiples différences entre un Tachi et un Katana : le Tachi doit être porté avec la lame vers le bas (à l'inverse du Katana), la courbure du Tachi est plus importante et la garde de l'arme (partie séparant la lame du manche servant à dévier les coups et protéger la main de son porteur) est similaire à celles des sabres mongols et chinois (comme les Tsurugi).

A Samouraï with a spear and a Tachi
Estampe d'Utagawa Kuniyoshi représentant un Samouraï armé d'une lance et portant une tête coupée. Vous pouvez également voir un Tachi fixé dans son dos (tranchant vers le bas).

On connaît deux types de Tachi : le Kazaritachi (littéralement : "Tachi de décoration") et le Jintachi (littéralement : "Tachi de guerre"). Le premier modèle est l'équivalent d'une épée de cérémonie (raffinée, rehaussée d'or et de perles) portée à la cour impériale ; l'autre, est sobre et fonctionnel.

Les Tachi seront progressivement abandonnés au profit du Katana lorsque les Samouraïs préfèreront se vêtir de Kimonos plutôt que de leur encombrante armure.

Informations complémentaires :

- Sur le champ de bataille, les Samouraï avaient pour habitude de trancher la tête de leurs ennemis pour les ramener au Shogun (Général) une fois le combat terminé.

Le fait de revenir avec un grand nombre de têtes ennemies était le moyen le plus sûr d'avoir de l'avancement et d'être grassement récompensé.

Lorsqu'un Samouraï adverse était mort, il fallait saisir le Kabuto (casque) de son ennemi, percer (à l'aide d'une lame courte) le cou pour parvenir à la trachée (histoire de l'arracher), revenir au niveau du haut de la nuque pour scier le cou et la colonne vertébrale ; le trophée macabre était enfin à portée de main.

L'après-bataille n'était pas de tout repos pour ceux qui détenaient la tête d'un Samouraï... certains soldats alliés n'hésitaient pas à tuer leurs collègues pour s'emparer de cette promesse d'une vie meilleure.

Lorsque le Samouraï était surchargé de têtes, il lui arrivait de couper les nez (où l'on pouvait encore voir les poils de la moustache, prouvant par là qu'il s'agissait d'un homme et non d'un enfant ou d'une femme). D'autres, se servaient de plaques de bois gravées de leur nom et terminées d'une courte pointe qu'ils fichaient dans la tête coupée de la victime.

Fukushima Masanori
Estampe d'Utagawa Kuniyoshi représentant Fukushima Masanori au combat (vous pouvez voir qu'il porte les têtes tranchées de ses ennemis).

La question à se poser est : "comment différencier la tête d'un simple soldat de celle d'un Samouraï ? " Simple. Lorsque le combat était terminé, le Shogun rassemblait ses officiers et procédait à l'identification méthodique des têtes (avec parfois l'appui de Samouraï de rang inférieur pour confirmer l'identité des victimes). Avant d'examiner ce qui trônait au bout du cou de ses ennemis, le Shogun devait prendre quelques précautions. Pour éviter de s'attirer les foudres de l'Esprit des vaincus, il dissimulait son visage derrière un éventail afin qu'ils ne puissent pas le reconnaître ; pendant ce temps, des soldats priaient, dans le but de chasser les éventuels Esprits vengeurs.

Une fois les morts de renom identifiés et les récompenses distribuées, il restait une dernière tâche à accomplir. Celui qui avait apporté la tête d'un ennemi à son chef devait écrire à la famille du défunt et lui ramener sa tête (afin que le corps soit de nouveau complet afin que le mort puisse être en paix).

- Fukushima Masanori (1561 - 1624) ou Ichimatsu de son premier nom était un Daimyo qui a servi Toyotomi Hideyoshi.

À la bataille de Shizugatake - qui s'est déroulée en 1583 et opposait les partisans de Toyotomi à ceux d'Oda Nobutaka (Samouraï du clan Oda) -, Masanori ramena la tête décapitée du Général ennemi (Ogosato Leyoshi) et sera largement payé pour ce haut-fait.

Il participera à de nombreuses batailles (dont l'invasion de la Corée) et deviendra l'une des "Sept Lances de Shizugatake" ("Shizugatake no Shichi-hon-yari"), qui sont sept Samouraï à cheval chargés de protéger Toyotomi Hideyoshi.

Tekkan :

Le Tekkan (littéralement : "Tuyau de Fer") ou Tetsu-ken (littéralement : "Épée de Fer") est une arme qui a été employée de l'Ère Edo (1603) jusqu'au début du XXème siècle. Fort similaire au Wakizashi de par son format, l'arme avait pour particularité d'avoir un tranchant non aiguisé (ou émoussé) ; il pourrait s'agir d'une version en fonte du Kabbutowari. Le Tekkan n'était donc pas utilisé pour trancher ou percer mais plutôt pour frapper avec un maximum d'impact les armures ennemies (ou assommer ses adversaires).

Comme vous le savez déjà, il était interdit à ceux qui n'étaient pas issus de la noblesse de manier toute arme munie d'un tranchant (bien qu'il existe quelques exceptions que j'évoque dans les autres parties de ce chapitre). C'est grâce à cette prohibition que le Tekkan est devenu fort populaire auprès des marchands et fermiers durant la Période Edo puisque cet objet était justement dépourvu de tranchant.

En 1876, durant la Période Meiji (1868 - 1912), le gouvernement mettra en place le Haitorei (littéralement : "Édit d'Interdiction des Épées") : une loi interdisant le port d'arme dans les lieux publics (à l'exception des militaires et des membres des forces de l'ordre). Les Samouraï se voyant confisquer le séculaire symbole de leur ordre, décidèrent d'adopter le port du Tekkan et autres armes d'autodéfense.

Informations complémentaires :

- La fonte est un alliage de fer mêlé a du carbone (dont le pourcentage varie). Son procédé de création est apparu en Chine, au IVème siècle avant J.C.

Tanto :

Le Tanto (littéralement : "Courte Lame") est un couteau ou dague doté d'une très légère courbure (ce qui en fait également un sabre court). Long de 15 à 30 centimètres, le Tanto est doté d'une ou deux lames. Étant donné qu'il s'agit d'un genre de dague, l'arme est surtout employée pour être plantée dans les corps adverses mais le tranchant aiguisé du Tanto permet également de découper son prochain.

Apparu lors de la Période Heian (794 - 1185), le Tanto était utilisé en combinaison avec le Tachi pour former une sorte de Daicho (la combinaison d'une arme longue avec une arme courte), bien avant que le Wakizashi ne fasse son apparition (vers le XV ou XVIème siècle).

Variante du Tanto, le Yoroidoshi (littéralement : "Perceur d'Armures") se distinguait de son cousin par une épaisseur supplémentaire au niveau du manche.

En sus du champ de bataille, le Tanto était employé par les femmes qui dissimulaient un modèle plus court (le Kaiken, long de 15 centimètres) dans les manches de leur kimono ou dans leur Obi (la ceinture permettant de fermer leur tenue traditionnelle). Les Onna-bugeisha (femmes combattantes issues de la noblesses) étaient d'ailleurs formées au maniement de cette arme.

Tsurugi :

Le Tsurugi est une arme droite à double tranchant. Vu sa forme, il s'agit plus d'une épée courte (ou longue pour certains modèles) que d'un sabre. Inspiré des armes chinoises et mongoles, le Tsurugi est apparu durant l'Âge du Bronze japonais (qui démarre vers - 3000).

Le terme "tsurugi" est employé pour désigner les épées courtes à lames droite, comme par exemple le Jian chinois.

Ame-no-Habakiri (littéralement : "Tueuse de Serpent"), l'épée que manie Susanoo pour vaincre Yamata-no-Orochi et Kusanagi-no-Tsurugi, l'arme qu'il découvre dans la queue centrale de la bête, sont toutes les deux des Tsurugi ; malgré le fait que ces artefacts soient presque toujours représentés sous la forme de Katana dans les estampes. N'oublions pas que les premiers sabres à un tranchant - de type Koto - sont apparus vers l'an 950...

Battle of Minatogawa
Estampe d'Utagawa Yoshitora représentant la bataille de la Minato-gawa.

Informations complémentaires :

- Le Jian est une arme droite chinoise. Dotée d'une lame fine et d'une garde fort petite (peu apte à parer les coups), le Jian était fragile mais acéré.

- Utagawa Yoshitora (l'un des trois élèves d'Utagawa Kuniyoshi) était un artiste de l'Ère Edo spécialisé dans les estampes sur bois mais également dans les illustrations d'ouvrages et de journaux.

- La bataille de la Minato-gawa (en japonais : "Minatogawa-no-tatakai") est un conflit qui s'est déroulé en 1336 où se sont fait face les troupes de l'Empereur Go-Daigo et les armées du clan Ashikaga.

Cette "escarmouche" était due à des tensions entre l'Empereur (qui avait été aidé en 1333 par les Ashikaga pour reprendre son trône) et Ashikaga Takauji, le chef de la famille du même nom. En refusant d'accorder le titre de Shogun à Ashikaga, l'Empereur froissa grandement son allié ce qui déclencha progressivement les hostilités.

Les troupes impériales perdirent la guerre, ce qui obligea Go-Daigo à s'enfuir et permit aux Ashikaga de mettre sur le trône l'Empereur Yoshino (ce qui fit entrer le Japon dans la courte Période de Nanboku-cho - qui dura de 1333 jusqu'en 1392).

Uchigatana :

L'Uchigatana (dont le nom signifie approximativement : "Épée Pour Pourfendre") est un sabre à une main. À la fois évolution du Tachi et ancêtre du Katana, l'Uchigatana est apparu durant la Période Kamakura (1185 - 1333). Légèrement plus petit que le Tachi (60 à 70 centimètres de long), l'Uchigatana se portait lame vers le haut, à l'inverse de son ancêtre.

Plus rapide dans son maniement, plus commode à porter et plus polyvalent (pouvant être manié par l'infanterie et dans des endroits plus étroits) L'Uchigatana supplantera son "collègue métallique".

Informations complémentaires :

- La Période Kamakura (1185 - 1333) tient son nom du fait que le Japon est placé sous l'autorité du Shogunat Kamakura (Kamakura est la ville où réside le gouvernement du Shogun - Bakufu - à cette époque).

L'année 1185 est marquée par la fin de la guerre de Genpei (débutée en 1180) où le clan Minamoto triomphera des Taira - ce conflit que j'ai vaguement évoqué dans les "Informations complémentaires" du chapitre intitulé : "Kami et Shintoïsme" sera développé dans la partie qui va suivre).

La Période Muromachi se termine en 1333, année où commence l'Ère Muromachi.

Wakizashi :

Le Wakizashi (signifiant plus ou moins : "Épée Insérée au Côté") est un sabre court de 30 à 60 centimètres de long. Remplaçant du Tanto, ce sabre se maniait avec le Katana et prouvait que son porteur était un Samouraï (donc de noble extraction). La combinaison de ces deux armes s'appelle d'ailleurs le Daisho ("Grand-Petit" pour ceux qui ont sauté un chapitre).

Apparu vers le XV ou XVIème siècle, le Wakizashi était employé pour les combats à deux armes ou les batailles dans des endroits étroits (qui gênent grandement le maniement d'armes longues). On employait également ce sabre pour une sinistre cérémonie : le Seppuku (suicide rituel dont vous trouverez tous les détails en allant consulter les "Informations complémentaires" du chapitre intitulé : "Douloureux enfantement et départ d'Izanami").

Lorsque l'on entrait dans un château ou palais, il était coutume de laisser à l'entrée son Katana, mais le Samouraï pouvant conserver son Wakizashi. Cette arme pouvait être également portée par les Chonin (littéralement : "Citadin"), une classe sociale apparue lors de l'Ère Edo (1603 - 1868), constituée principalement de marchands et de quelques artisans.

Il existe encore d'autres modèles de sabres japonais mais je pense vous avoir dévoilé une bonne partie de la liste. Maintenant que vous connaissez un peu mieux ce type d'arme, plongeons dans le récit de la plus fameuse d'entre elles...

Kusanagi-no-Tsurugi, l'Épée des Empereurs :

Le morceau de texte qui va suivre provient du livre intitulé : "Le dit des Heiké : Cycle épique des Taïra et des Minamoto" (traduit par René Sieffert). Ce récit, mieux connu au Japon sous le nom de "Heiké Monogatari" (qui signifie plus ou moins : "Le Roman des Heiké" ou "L'Histoire des Heiké") est une chronique ou épopée - rédigée en prose - racontant la lutte qui opposa les clans Minamoto et Taïra lors de la guerre de Genpei (débutée en 1180), pour s'achever avec la bataille de Dan-no-ura (en 1185). Ce récit complet a été recueilli grâce à la tradition orale en 1371 et est considéré au Pays du Soleil Levant comme un classique de la littérature.

Il semble au premier abord qu'il n'y a aucun lien entre le texte qui va suivre et l'affrontement qui a opposé le Kami des Tempêtes Susanoo au Dragon de Koshi... Pourtant, le cordon qui relie ces deux récits est l'un des artefacts les plus révéré au Japon ; je parle bien sûr de la Kusanagi-no-tsurugi, l'épée qui va devenir l'un des biens les plus précieux de la famille Impériale japonaise.

Yamata no Orochi
Création de Rinpoo-chuang.

L'extrait qui va suivre va donc vous donner tous les détails sur l'histoire de cette arme ; de sa découverte dans la queue de Yamata-no-Orochi, jusqu'à sa perte lors de la bataille de Dan-no-ura.

Étant donné que le traducteur n'a placé qu'un seul rajout (cinquième paragraphe, quatorzième ligne) entre crochets pour replacer un mot manquant dans le texte d'origine, je parsèmerai le chapitre de courtes notes entre "{}" pour vous aider à retrouver les termes et noms mythologiques déjà employés dans les chapitres précédents.

Voici donc le chapitre tiré du livre onzième et appelé sobrement :

Le Sabre :

Notre Empire possède trois sabres miraculeux que l'on se transmet depuis l'âge des Dieux : le Sabre de Dix Longueurs {Ame-no-Habakiri}, le Sabre Céleste Tranche Mouches et le Sabre Fauche Herbes {Kusanagi-no-tsurugi}. Le Sabre de Dix Longueurs est conservé au Sanctuaire de Furu, à Isonokami dans la province de Yamato. Le Sabre Céleste Tranche Mouches se trouve, dit-on au Temple d'Atsura. Le Sabre Fauche Herbes est au Palais. Le sabre précieux dont il s'agit ici, c'est ce dernier.

Pour ce qui est des origines de ce sabre : jadis Susano.o-no-mikoto {Susanoo} avait établi son palais dans la province d'Izumo, au village de Soga ; lors comme en ce lieu sans cesse s'élevaient des nuages de huit couleurs, l'auguste dieu à cette vue composa ce poème :

Les nuages octuples
qui se lèvent en Izumo
d'une octuple enceinte
enveloppent mon épouse
d'une octuple enceinte voire

Ce fût-là, dit-on, le premier des poèmes de trente et une syllabes. Et si l'on nomma la province Izumo, ce fut pour cette raison aussi, avons-nous ouï dire.

Yamata no Orochi
Illustration de Chris Ostrowski.

Jadis, au temps où l'auguste Dieu avait daigné descendre dans la province d'Izumo à l'amont de la Hi-no-Kawa {rivière Hi}, il y avait là les Dieux de la province, un Dieu et une Déesse du nom d'Ashina-zuchi et Téna-zuchi {Ashi-nadzuchi et Te-nadzuchi}. Ils avaient une fille d'une grande beauté. Son nom était Inada-himé {Kushinada}. Les parents et la fille, tous trois, étaient en larmes. Quand l'auguste Dieu leur en demanda la raison, voici ce qu'ils répondirent : "Nous avions huit filles. Toutes ont été dévorées par un Grand Serpent {Yamata-no-Orochi}. À présent il se dispose à dévorer l'unique enfant qui nous reste. Le Grand Serpent en question à huit queues et huit têtes, qui recouvrent huit cimes et s'étendent dans huit vallées. Sur son dos croît une forêt épaisse. Il est là depuis l'on ne sait combien de milliers d'années. Ses yeux luisent autant que le soleil et la lune. Année après année il dévore des humains. Ici il a dévoré les parents et les enfants s'en affligent ; des villages du Sud aux villages du Nord, les gémissements jamais ne cessent !" Ce dirent-ils et l'Auguste dieu les prit en pitié ; il changea la jouvencelle en un peigne à cinq cents dents et la cacha dans sa chevelure, versa du saké dans huit vaisseaux, confectionna l'effigie d'une belle fille et la dressa au sommet d'une haute colline. L'image s'en refléta dans le saké. Le Grand Serpent croyant que c'était {des} personnes humaines, à satiété avala ces reflets et quand il fut étendu ivre mort, l'auguste Dieu dégaina le Sabre de Dix Longueurs qu'il portait à la ceinture et tailla en pièces le Grand Serpent. Arrivé à la dernière queue, il ne put la trancher. L'auguste Dieu s'en étonna et quand il l'eut fendue en longueur, il y découvrit un sabre miraculeux. Il le prit et l'offrit à la Grande Divinité qui Luit au Ciel {Amaterasu}. " Ceci est le sabre que jadis je laissai tomber dans la Plaine du haut Ciel {là où résident les Kami} !" déclara-t-elle. Au temps qu'il se trouvait dedans la queue du Grand Serpent, une épaisse nuée sans cesse le recouvrait, aussi le nomma-t-on le Sabre à l'Épaisse Nuée. La Grande Divinité le reçut et en fit le trésor de son Céleste Palais. Quand elle fit descendre sur la terre, en qualité de souverain maître du Royaume des Plaines aux Roseaux Exubérants {le Monde des hommes}, son céleste petit-fils, elle lui donna ce sabre avec son miroir {Yata-no-Kagami}. Jusques aux temps du neuvième Empereur Kaïka-Tennô, il fut conservé dans le Palais même, mais sous le règne du dixième Empereur Sujin-Tennô, celui-ci, par crainte et révérence envers son pouvoir sacré, transféra la Grande Divinité qui Luit au Ciel dans la province de Yamato, au village de Kasanui, à Iso-ga-Kihiroki et il déposa ce sabre dans le sanctuaire de la Grande Divinité qui Luit au Ciel. C'est alors que l'on restaura le sabre dont on fit le sabre protecteur de l'Empereur. Son pouvoir sacré ne le cédait en rien à celui du sabre originel.

Susanoo-no-Mokoto facing Yamata no Orochi
Une superbe création de Haliax détaillant l'affrontement entre Susanoo et Yamata-no-Orochi.

Le Sabre à l'Épaisse Nuée que, trois règnes durant, de Sujin-Tennô jusqu'à Keikô-Tennô, l'on avait révéré dans le sanctuaire de la Grande Divinité qui Luit au Ciel, la quarantième année du règne de Keikô-Tennô, en la sixième lune, lors de la révolte des Barbares de l'Est, quand le fils de l'Empereur, l'auguste Yamato-takéru, vaillant de cœur et fort plus qu'homme au monde, choisi entre tous s'en alla en Azuma, il se présenta à la Grande Divinité qui Luit au Ciel pour prendre d'elle congé et lors, par le truchement de la sœur cadette de Sa Majesté, l'auguste Prêtresse d'Isé, elle fit remettre le sabre miraculeux à l'auguste Prince en lui recommandant de le tenir en révérence et soin. Or quand il fut arrivé dans la province de Suruga, les rebelles de l'endroit : "Dans ce pays, les daims sont nombreux. Plaise à votre Altesse de chasser !" dirent-ils et, l'ayant par traîtrise envoyé dans la lande, ils y mirent le feu ; déjà ils allaient le faire périr dans les flammes quand l'auguste Prince, dégainant le sabre miraculeux qu'il portait à la ceinture, se mit à faucher les herbes, si bien que de sa lame, dans un rayon d'une lieue, toutes les herbes furent fauchées. L'auguste Prince, à son tour, alluma un contre-feu et le vent soudain souffla dans la direction des rebelles et les scélérats jusqu'au dernier moururent brûlés. De ce jour l'on a donné au Sabre à l'Épaisse Nuée cet autre nom de Sabre Fauche Herbes. L'auguste Prince alors pénétra dans les provinces extrêmes et trois années durant écrasa les rebelles ici et là et réduisit à merci les sujets révoltés, puis il remonta vers la capitale ; tombé malade en chemin, dans la trentième année de son âge, en la septième lune, il trépassa dans la province d'Owari, dans les parages d'Atsuta. Son esprit, mué en oiseau blanc, monta au ciel, étrange miracle ! Les barbares ses prisonniers, par son fils l'auguste Tahéhiko, furent présentés à l'Empereur. Quant au Sabre Fauche Herbes, il fut conservé au sanctuaire d'Atsuta. En la septième année du règne du Céleste Empereur, le moine Dôgyô de Shinra déroba ce sabre et, dans le dessein d'en faire le trésor de son propre pays, le dissimula à bord d'un navire, mais quand il prit la mer, les vents et les vagues se soulevèrent violents et menaçaient de l'engloutir à l'instant au fond des eaux. Reconnaissant à ce signe l'influence du sabre miraculeux, il se repentit de son crime et sans avoir accompli son dessein, il le restitua comme devant. Temmu-Tennô toutefois, l'an premier de Shuchô (686), le reprit et le déposa au palais. Le sabre précieux en question, c'est celui-là. Son pouvoir sacré est considérable. Yôzei-no-In, alors qu'il souffrait d'une longue maladie, avait dégainé le sabre miraculeux et aussitôt un éclair avait illuminé ses appartements de nuit. Épouvanté, il l'avait laissé choir et le sabre de lui-même s'était remis au fourreau avec un bruit sec. Ainsi dans les temps anciens s'était manifesté son caractère sacré. Quand bien même la Dame du Second Rang l'avait passé dans sa ceinture pour s'abîmer dans la mer, il semblait impossible qu'il disparût sans plus, aussi convoqua-t-on les meilleurs plongeurs qui pénétrèrent au fond des eaux pour le rechercher ; des saints moines, enfermés dans les sanctuaires des Bouddhas et des Dieux, leur dédièrent des offrandes précieuses et dirent leurs incantations, mais il demeura introuvable. Lors voici ce que dirent entre eux les sages de ce temps-là : "Jadis la Grande Divinité qui Luit au Ciel avait fait le serment de protéger les cent Souverains et ce serment jamais ne s'est démenti, car puisque la lignée du Dieu d'Iwashimizu ne s'est point interrompue jusqu'à ce jour, la lumière du disque solaire de la Grande Divinité qui Luit au Ciel toujours éclaire la terre. Fût-ce en ce siècle dégénéré du déclin de la Loi, la fortune de nos Souverains n'est sans doute point épuisée !" Ce disaient-ils et voici comment certain Maître en divination interpréta ces faits : "Le Grand Serpent qui jadis dans la province d'Izumo, en amont de la Hi-no-kawa avait été tué et taillé en pièces par l'auguste Susano.o, dans son profond dépit d'avoir perdu le sabre miraculeux, ainsi que le présageait ses huit têtes et ses huit queues, après quatre-vingt règnes de Souverains humains, a pris la forme d'un Empereur de huit ans et repris le sabre miraculeux pour s'abîmer avec lui au fond des mers !" dit-il. Et puisqu'au fond d'une mer de mille brasses, le sabre était devenu ainsi le trésor du Divin Dragon, l'on conçoit qu'il n'ait point été restitué au monde des humains."
- Auteur anonyme (traduction et notes de René Sieffert), "Le dit des Heiké : Cycle épique des Taïra et des Minamoto".

Susanoo facing Yamata no Orochi
Création de Japanmeonly représentant Susanoo (dans le style Kabuki) enserré dans les anneaux de Yamata-no-Orochi. Ce qu'il tient entre ses mains est peut-être le Yasakani-no-Magatama, la "perle" connue pour être l'un des trois trésors impériaux du Japon.

Afin de mieux comprendre le récit, je vous propose d'analyser certains fragments dans le chapitre qui va suivre. Nous tenterons également de replacer les éléments dans leur contexte historique et mythologique.

Informations complémentaires :

- René Sieffert (1923 - 2004) était un spécialiste du Japon d'origine française et professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales (un établissement français d'enseignement supérieur et chargé d'apprendre aux élèves les langues et cultures autres que celles d'Europe occidentale).

On lui doit plusieurs ouvrages sur le théâtre, la littérature et les religions du Japon, sans oublier ses traductions.

De l'histoire au mythe (analyse du chapitre intitulé "Le sabre") :

Le chapitre démarre sur une description des trois armes les plus fameuses du Japon : le Sabre de Dix Longueurs (l'arme que manie Susanoo), le Sabre Céleste Tranche Mouches (une lame qui m'est totalement inconnue malgré mes recherches sur le sujet) et le Sabre Fauche Herbes (le second nom donné à l'épée trouvée dans la queue centrale de Yamata-no-Orochi).

Le Sabre de Dix Longueurs (qu'on appelle également Ame-no-Habakiri ou Totsuka-no-Tsurugi) serait (selon le texte) conservé au Sanctuaire de Furu. En cherchant un peu, on peut rapprocher le nom de ce site à celui du Sanctuaire d'Isonokami-jingu (qu'on appelle également : "Furu-omyojin"). Situé sur l'île de Honshu (au centre du pays), l'édifice est considéré comme l'un des plus anciens sanctuaire Shintoïste. Il abrite en son sein une collection d'artefacts, dont l'illustre Sabre de Dix Longueurs.

La seconde partie du chapitre détaille l'arrivée de Susanoo dans la future Province d'Izumo, sa rencontre avec sa future épouse (Kushinada), son combat contre le Serpent de Koshi et la découverte de la Kusanagi-no-tsurugi dans la queue centrale de la bête massacrée. La suite vous la connaissez également : il offre l'arme à sa sœur Amaterasu. Un détail est cependant fort intéressant :

"Il le prit et l'offrit à la Grande Divinité qui Luit au Ciel. " Ceci est le sabre que jadis je laissai tomber dans la Plaine du haut Ciel !" déclara-t-elle."
- Auteur anonyme (traduction et notes de René Sieffert), Extrait de : "Le dit des Heiké : Cycle épique des Taïra et des Minamoto".

Cette simple ligne nous apprend que l'arme appartenait à l'origine à la Kami Solaire qui la perdit dans un recoin de son royaume. Cela ne nous révèle toujours pas comment elle a fini dans l'appendice caudal d'un Dragon à huit têtes, le mystère reste entier à ce propos...

Un autre extrait nous révèle une nouvelle information sur l'anatomie du Dragon de Koshi et sur le premier nom de l'arme :

"Au temps qu'il se trouvait dedans la queue du Grand Serpent, une épaisse nuée sans cesse le recouvrait, aussi le nomma-t-on le Sabre à l'Épaisse Nuée."
- Auteur anonyme (traduction et notes de René Sieffert), Extrait de : "Le dit des Heiké : Cycle épique des Taïra et des Minamoto".

Comme vous l'aurez compris, le nom originel de l'arme n'est pas "Kusanagi-no-tsurugi" (littéralement : "L'Épée Trancheuse d'Herbe") mais "Ame no murakumo no tsurugi" (littéralement : l' "Épée du Ciel aux Nuages Regroupés", "L'Épée Qui Assemble les Nuages Célestes" ou "L'Épée des Nuages du Paradis Réunis"), un nom plus adapté à son lieu d'origine.

Susanoo-no-Mikoto Facing Yamata no Orochi
Création fort graphique de Craig Henry représentant le combat opposant Susanoo à Yamata-no-Orochi.

L'arme deviendra l'un des trésors de son palais. Plus tard, elle enverra son petit-fils Ninigi-no-Mikoto régner sur le monde des hommes et lui confiera la Kusanagi-no-tsurugi, son miroir (Yata-no-Kagami) et probablement Yasakani no magatama (le fameux bijou faisant partie du trio de trésors impériaux du Japon). Si vous vous souvenez du chapitre consacré à Amaterasu (intitulé : "Amaterasu et sa descendance") vous constaterez que cette partie du récit entre en conflit avec ce qui a été dit précédemment. Les trois trésors auraient été confiés au Kami Nigihayahi et non à Ninigi-no-Mikoto. Ce dernier sera envoyé plus tard par Amaterasu lorsqu'elle constatera que ses divers représentants échoueront dans leur tâche.

L'arme sera conservée au Palais Impérial jusqu'au dixième Empereur, Sujin-Tennô (considéré comme un Empereur légendaire, il est assez difficile de le situer dans le temps mais certains historiens pensent qu'il est né en -148 et est mort en -30). Par crainte de la puissance de l'arme, il la transfèrera dans l'un des premiers sanctuaires consacré à Amaterasu (et construit sur son ordre).

L'arme sera vénérée dans le temple jusqu'à "la quarantième année du règne de Keikô-Tennô" (douzième Empereur, considéré également comme un souverain mythique on le situe de l'an 12 jusqu'à l'an 130). Pour contrer la révolte des Barbares de l'Est (les tribus Kumaso de Kyushu), l'Empereur enverra son propre fils, le Prince Yamato-takéru (ou Yamato Takeru). En chemin, le guerrier ira consulter la Megami Amaterasu dans le Sanctuaire d'Azuma (ou Sanctuaire d'Atsuta). La Kami Solaire se manifestera par l'intermédiaire de la Grande-prêtresse, Yamato-hime (sa tante), qui lui confiera la Kusanagi pour le protéger des dangers qu'il rencontrera sur sa route.

Arrivé à la Province de Suruga, les rebelles l'inviteront à chasser le daim. Cette partie de chasse sera bien entendu un piège tendu au Prince. Ses adversaires craignant de l'affronter à la loyale, ils mettront le feu à la prairie pour qu'il soit encerclé par les flammes et devienne une cible facile pour leurs arcs. Acculé, Yamato Takeru utilisera l'épée offerte par sa tante pour tenter de créer un coupe-feu en fauchant les herbes. Le Prince avait à peine eu le temps de donner un coup de lame que toutes les herbes tombèrent fauchées dans un rayon d'une lieue (l'arme aurait la capacité de contrôler le vent)... Saisissant sa chance, Yamato Takeru allumera un contre-feu ; aidées par le vent, les flammes se dirigeront rapidement vers les rebelles pour les réduire en cendres. À partir de ce moment l'arme nommée "Ame no murakumo no tsurugi" sera rebaptisée : "Kusanagi-no-tsurugi" ("L'Épée Trancheuse d'Herbe").

Trois années durant, le Prince Takeru combattra les tribus rebelles avant de remonter vers la capitale. Il tombera malade sur la route (son mal viendrait d'une malédiction jetée par un Kami qu'il aurait offensé par ses blasphèmes). Il décédera à l'âge de 30 ans ; dans un dernier souffle, son âme s'extirpera de son corps, sous la forme d'un grand oiseau blanc. Une variante de ce mythe mentionne que le Prince n'écoutant pas son épouse - Ototachibanahime - oubliera d'emporter avec lui la Kusanagi. Sans son épée sacrée, il se fera massacrer par le monstre qu'il était venu affronter...

Après le trépas du Prince, la Kusanagi-no-tsurugi sera ramenée au sanctuaire pour être dérobée vers le VIème siècle par le moine Dôgyô de Silla (l'un des trois Royaumes de Corée de l'époque) qui comptait faire de l'arme le trésor de sa propre nation. Arrivé au port, il embarqua avec son butin dans un navire pour Silla mais la tempête qui se déchaîna lui fit comprendre la gravité de son geste et il restitua l'arme au Sanctuaire. Dans une autre version, l'histoire ne se terminera pas aussi bien puisque la tempête fera sombrer le navire de Dôgyô et la Kusanagi sera récupérée plus tard par des prêtres Shinto qui tomberont sur l'épée échouée sur le rivage d'Ise.

En 686, Temmu-Tennô (622 ou 631 - 686), le quarantième Empereur du Japon décida de récupérer la Kusanagi-no-Tsurugi pour la déposer au palais. Bien des années plus tard, l'Empereur Yôzei-no-In (probablement le cinquante-septième Empereur qui vécut de l'an 869 à l'an 949), souffrant d'une pénible maladie (on le disait fou), eut un soir l'idée de dégainer l'épée sacrée. À peine l'arme était-elle sortie de son fourreau qu'une lumière aveuglante illumina la demeure de l'Empereur, qui, pris de panique, lâcha l'épée. Sous le regard médusé du suzerain, l'arme eut le bon goût de se remettre toute seule au fourreau... Une variante du récit (provenant du Nihon Shoki) nous relate qu'en 688 l'épée est rapportée au Sanctuaire d'Atsuta car elle aurait provoqué la maladie de l'Empereur Tenmu.

The Ghosts of the Taira Clan
Estampe (dont l'auteur reste incertain) représentant le Clan Taira sous la forme de Fantômes marins. Sur le panneau central, on peut voir le Général Taira no Tomomori (qui s'est suicidé en attachant son pied à une ancre) et sur le panneau de droite, le jeune Empereur Antoku, porté par sa grand-mère.

En 1185, à la fin de la bataille de Dan-no-ura (qui opposait, je le rappelle, les clans Minamoto et Taira), les Taira seront définitivement vaincus. De nombreux nobles se suicideront par noyade dont le jeune Empereur Antoku (1178 - 1185) et sa grand-mère qui, avant de s'abimer dans les flots, emporteront avec eux la Kusanagi-no-tsurugi et le Yasakani no magatama. Le troisième trésor impérial (le miroir Yata-no-Kagami) sera sauvé de justesse : la capture d'une dame de compagnie (ou la mère de l'Empereur, Taira no Tokuto) qui tentait de se noyer avec le précieux miroir permettra la récupération du précieux objet (une version précise que le "sauveteur" à agrippé sa victime par les cheveux avec un râteau pour la ramener sur la berge). Plus tard, on retrouvera également le Yasakani no magatama ; conservé dans une cassette de bois et flottant à la surface. Malheureusement, l'épée ne sera jamais retrouvée malgré les recherches des plongeurs. À ce propos, l'extrait qui conclut le chapitre est fort intéressant symboliquement parlant, voyez plutôt :

"Le Grand Serpent qui jadis dans la province d'Izumo, en amont de la Hi-no-kawa avait été tué et taillé en pièces par l'auguste Susano.o, dans son profond dépit d'avoir perdu le sabre miraculeux, ainsi que le présageait ses huit têtes et ses huit queues, après quatre-vingt règnes de Souverains humains, a pris la forme d'un Empereur de huit ans et repris le sabre miraculeux pour s'abîmer avec lui au fond des mers !" dit-il. Et puisqu'au fond d'une mer de mille brasses, le sabre était devenu ainsi le trésor du Divin Dragon, l'on conçoit qu'il n'ait point été restitué au monde des humains."
- Auteur anonyme (traduction et notes de René Sieffert), Extrait de : "Le dit des Heiké : Cycle épique des Taïra et des Minamoto".

Outre le chiffre huit (symbole de multitude au Japon) qui revient sans cesse dans le texte, il est fait mention du "Divin Dragon". Il est presque certain qu'il s'agit de Ryujin, le Dieu Dragon qui règne sur la mer et réside dans un palais sous les flots (le conte intitulé : "Le Cristal de Bouddha" prouve que l'auguste Dragon n'était pas toujours enclin à rendre ce qu'il prenait).

Est-ce que la lame sacrée est restée dans les abysses ? À-t-elle été redécouverte un jour ? C'est ce que nous allons découvrir dans le dernier chapitre consacré à cette arme qui a su traverser les siècles et les périodes du Japon.

Informations complémentaires :

- En plus du Sabre de Dix Longueurs, le Sanctuaire d'Isonokami-jingu abrite bien d'autres merveilles en ses murs, notamment l'Épée à Sept Branches (qu'on appelle également : Nanatsusaya-no-Tachi ou Shichishito) ; une épée droite dotée de six excroissances crochues et gravée d'inscriptions.

Longue de 74,9 centimètres, l'arme est composée d'un alliage ferreux. La lame est également ornée de caractères chinois (incrustés d'or) sur la face recto et verso.

Nanatsusaya-no-Tachi
Nanatsusaya-no-Tachi (un brin rouillée mais toujours aisément identifiable).

L'arme était un présent d'un Prince de Baekje (l'un des Trois Royaumes de Corée de l'époque) offert au souverain de Yamato (l'ancien nom d'une province du Japon où la Cour Impériale résidait durant la période du même nom). Vu sa forme étrange (censée représenter un arbre) et le coût onéreux de sa création, Nanatsusaya-no-Tachi était probablement une arme cérémonielle (peu adaptée pour aller au combat ! ).

L'objet aurait été forgé en 369. Il n'est pas certain que Nanatsusaya-no-Tachi ait été conçu en Baekje mais son motif "végétal" se retrouve sur les couronnes de Baekje et de Silla (un autre des Trois Royaumes de Corée).

- La Période Yamato s'est déroulée (plus ou moins) de l'an 250 à l'an 710. Elle est découpée en deux sous-périodes : la Période Kofun (250 -538) et la Période Asuka (538 -710). Cette période est caractérisée par l'arrivée de l'écriture et du Bouddhisme (importé de Chine).

- Les exploits du douzième Empereur du Japon Keikô-Tennô sont principalement consignés dans "Le dit des Heiké" mais également dans le "Kojiki", sans oublier le "Nihon Shoki". Alors que dans les deux premiers ouvrages, le monarque envoie son fils pour pacifier les tribus barbares, le troisième rapporte que c'est l'Empereur lui-même qui part guerroyer et revient auréolé de gloire.

- Les Barbares de l'Est étaient un peuple ancien - les Kumaso - originaire de l'île de Kyushu (l'île la plus au Sud de l'archipel japonais où serait apparu le peuple du Soleil Levant).

Les théories sur leurs origines sont variées. William George Ashton (1841 - 1911), le japonologue et diplomate britannique (connu pour avoir été le premier à traduire le "Nihon Shoki" en anglais), explique dans ses écrits que les Kumaso étaient deux tribus bien distinctes : les Kuma (littéralement : "Ours") et les So (littéralement : "Attaque" ou "Couche Sur"). Certains pensent que ces "barbares" étaient originaires de la grande île de Bornéo, envoyés par les dirigeants des Trois Royaumes de Corée pour attaquer les Yamato (l'ethnie à l'origine du peuple japonais actuel). À l'époque, les Trois Royaumes, la Chine et Yamato se disputaient les terres de la Corée actuelle.

Au fil du temps les Kumaso seront exterminés (notamment par le Prince Takeru ou son père, l'Empereur Keikô-Tennô) ou assimilés au peuple Yamato.

- Le Prince Yamato Takeru ou Prince Osu est le troisième rejeton de l'Empereur Keikô-Tennô. Même si sa chronologie est incertaine, on pense qu'il est né en 72 et mort 114 (d'autres sources semblent le situer bien plus loin dans le temps).

Contrairement aux apparences, l'Empereur, son père, n'a pas envoyé son fils guerroyer parce qu'il était un atout majeur dans les combats. Il craignait plutôt le tempérament violent de son rejeton (qui a assassiné son frère aîné, le regretté Osu no Mikoto) et voulait à tout prix l'éloigner en l'envoyant à Izumo.

Malgré son côté fougueux, Yamato Takeru était loin d'être stupide. Pour remporter la victoire, il n'hésitait pas à recourir à moult ruses (ce qui n'était aucunement considéré comme déshonorant chez les guerriers au Japon). L'exemple le plus connu est celui où il a infiltré le camp ennemi en se travestissant en femme venue servir à boire aux chefs "barbares". Après leur avoir versé une pléthore de coupes de saké, il profita de l'ivresse de ses adversaires pour les assassiner. L'un de ses opposants le suppliera pour qu'il épargne sa vie et lui donnera le titre de "Yamato Takeru" (littéralement : "Le Brave de Yamato"). Il refusera de faire preuve de miséricorde et terminera sa sanglante moisson.

The Prince Yamato Takeru
Estampe de Tsukioka Yoshitoshi représentant le Prince Yamato Takeru déguisé, en train de s'introduire dans le camp ennemi.

Dans une variante du récit, le Prince, dans sa tenue féminine, tuera le chef Kumaso : Torishi-Kaya (qu'on appelle aussi : "Courageux des Kahakami").

Le livre "Contes Japonais" (une traduction de l'ouvrage intitulé "Japanese Fairy Tales" écrit par Yei Theodora Ozaki) nous dévoile une autre ruse du Prince. Pour vaincre l'épéiste de renom Idzumo Takeru, il gagna dans un premier temps son amitié puis se fabriqua une épée de bois (un Bokken je suppose) qu'il glissa dans le fourreau de son arme en l'exhibant en toute occasion. Un jour, il profita d'une chaude journée pour proposer à son "ami" d'aller se baigner, ce que l'autre accepta. Laissant Idzumo Takeru nager au loin, Yamato Takeru échangea son arme factice contre la lame acérée laissée sans surveillance. Après s'être rhabillés, il proposa à son ennemi un duel pour savoir qui d'entre eux deux était le meilleur épéiste. Sachant que son nouveau camarade ne maniait qu'une simple arme de bois, il accepta, déjà sûr de l'issue de la bataille. À sa grande horreur, Idzumo Takeru ne parvint pas à extraire l'arme de son fourreau et quand enfin la lame se décida à quitter son étui, il se retrouva si surpris en voyant l'épée de bois, qu'il ne vit pas venir l'épée qui le décapita.

Malgré sa victoire éclatante, son père tentera encore une fois d'éloigner son fils en l'envoyant se battre contre des opposants dans l'Est du pays. En chemin il rendra visite à sa tante, la Princesse Yamato-hime qui lui confiera en guise de protection l'épée Kusanagi-no-tsurugi... vous connaissez le reste de l'histoire !

- Yei Theodora Ozaki (1871 - 1932) était une traductrice spécialisée dans l'adaptation des contes du Japon. Elle publiera plusieurs ouvrages qui connaîtront un vif succès.

- Tsukioka Yoshitoshi (1839 - 1892) était un artiste japonais qui vécut à la fin de l'Ère Edo et au début de l'Ère Meiji. Spécialise de l'Ukiyo-e (mouvement artistique dont font parties les estampes gravées sur bois) et élève de l'illustre Utagawa Kuniyoshi. Yoshitoshi continuera à créer ses œuvres de manière traditionnelle pour contrer la disparition de la culture traditionnelle japonaise au profit de la technologie occidentale (avec la réouvertue des frontières, les Japonais commencèrent à adopter les techniques propres à l'Occident comme la photographie et la litographie).

Yoshitoshi représentera divers types d'estampes liées à son environnement ou à des évènements qui ont marqué sa vie. Suite au décès de son père, il créera des estampes dépeignant des scènes de batailles sanglantes, de meurtres et autres joyeusetés du même tonneau.

Passée sa période noire (il vivait dans la misère, au point que certaines de ses compagnes durent vendre leurs biens et se prostiter pour l'aider), il put stabiliser un peu sa situation en façonnant des illustrations pleine page pour les journaux (illustrant des articles à sensation).

C'est vraiment à la fin de sa vie qu'il créa ses meilleures séries d'estampes : "Une Centaine d'Aspects de la Lune" et "Les Nouvelles Formes de Trente Six Fantômes". Il aidera également ses amis en les soutenant dans leur combat de protection des arts traditionnels japonais (menacés par la modernisation du Japon). Malheureusement, ses problèmes mentaux finiront par le miner et il sera interné dans un établissement psychiatrique. Peu après sa sortie, il décèdera en 1892 d'une hémorragie cérébrale.

The monk Raigo
Estampe de Tsukioka Yoshitoshi représentant le moine Raigo pour sa série consacrée aux Fantômes intitulée : "Shinkei Sanjurokuten".

- Raigo était - selon la légende - un moine pieux qui résidait au Monastère de Miidera (ou Mii-dera), dans la Province d'Omi.

Un beau jour, l'Empereur Shirakawa (1073 - 1087), inquiet de ne pas encore avoir eu de descendance, alla trouver Raigo pour qu'il prie les dieux et Buddha afin qu'ils accordent un rejeton au monarque. En échange de son aide, Shirakawa promit au moine de lui accorder la récompense de son choix. Honoré par cette requête, Raigo accepta l'offre et se mit à prier les dieux avec ferveur.

En 1074, les efforts du moine furent récompensés par la naissance du Prince Taruhito. Heureux d'avoir réussi sa mission, Raigo alla trouver l'Empereur pour lui demander sa récompense : la construction d'un nouveau bâtiment d'ordination pour le Monastère de Miidera. L'Empereur accepta. Malheureusement les évènements allaient se liguer contre sa promesse.

Le Temple de Miidera avait un rival, le puissant Monastère Enraku-ji (ou Enryaku-ji) du Mont HieiKyoto). Les moines de ce temple étaient tout sauf paisibles, il s'agissait plus de combattants organisés comme une armée. Furieux d'apprendre que leurs rivaux allaient s'agrandir avec la bénédiction de l'Empereur lui-même, les moines firent pression sur le monarque pour l'empêcher de tenir sa parole.

Ne voulant pas offenser son bienfaiteur, Shirakawa convoqua Raigo pour voir s'il pouvait lui offrir autre chose qui pourrait le contenter mais ce dernier refusa et protesta en faisant la grève de la faim. Au centième jour de son action, Raigo trépassa en maudissant le monarque parjure avec son dernier souffle.

La haine et la déception du moine le changèrent en Onryo (voir la note suivante pour plus d'informations à ce sujet). Peu de temps après, on aperçut la silhouette blanche du moine aux abords des appartements du fils de l'Empereur. Suite à cette étrange vision, le jeune Taruhito trépassa mais la vengeance de Raigo ne devait pas s'arrêter là !

Avant de mourir, Raigo aurait utilisé une forme de magie pervertie pour revenir à la vie sous la forme d'un énorme rat au corps dur comme la pierre et aux dents tranchantes pareilles à de l'acier : un Tesso (un Yokai dont le nom signifie : "Rat de Fer").

Raigo the Tesso
Illustration de Gegebo Kurohoushi représentant le moine Raigo sous sa forme de Tesso.

Sous sa nouvelle forme, il invoqua une armée de rats pour envahir le Monastère d'Enraku-ji. Sur place, les rongeurs commencèrent à ronger les murs, les statues, sans oublier les précieux et irremplaçables parchemins des bibliothèques.

Pour apaiser l'Esprit vengeur, on fit construire un autel au Monastère de Mii-dera ce qui eut pour effet de transformer le moine ravagé par la colère en Kami protecteur.

- Au Japon, lorsqu'une personne meurt avec le cœur gorgé de sentiments comme la haine, la jalousie ou la colère, elle revient sous la forme d'un Onryo (littéralement : "Esprit Vengeur" ou "Esprit Courroucé") ; un Yokai ou Fantôme animé par la vengeance.

- Les Trois Royaumes de Corée - Goguryeo, Silla et Baekje - apparaissent vers le Ier siècle avant J.C. (dans le Sud-Est de l'actuelle Péninsule de Corée) et dureront jusqu'au VIIIème siècle.

- Ise (anciennement Ujiyamada) est une ville côtière japonaise de la Préfecture de Mie. La cité est connue notamment grâce au Sanctuaire d'Isé consacré à Amaterasu, la Kami Solaire, sans oublier Meoto Iwa (voir l'information complémentaire qui suit).

- Meoto Iwa, qu'on appelle également : "Les Rochers Mariés" sont deux rochers baignés par la mer et se trouvant dans la Préfecture de Mie. Leur particularité est qu'ils sont reliés par une corde sacrée ou Shimenawa, qui pèse plus d'une tonne et doit être remplacée plusieurs fois par an au cour d'une cérémonie.

Meoto Iwa
Estampe d'Utagawa Kunisada représentant Meoto Iwa.

Considérés comme sacrés pour les Shintoïstes, ces deux rochers liés représentent l'homme et la femme liés par le lien du mariage.

Pour plus d'informations sur les cordes sacrées japonaises, veuillez consulter l'information complémentaire traitant de ce sujet et se trouvant au chapitre intitulé : "La Megami plus brillante qu'Amaterasu".

- Yôzei-no-In (869 - 949) était le cinquante septième Empereur du Japon, rendu tristement célèbre pour son immaturité et sa folie...

Intronisé à l'âge de 8 ans, le jeune Yôzei ne tarda pas à faire étalage de ses caprices : il avait pour habitude de se divertir en faisant se battre des chiens contre des singes (il passa plus tard à la vitesse supérieure en exécutant lui-même les criminels du pays), il ordonna à des hommes de se percher dans des arbres pendant que d'autres, armés de lances, tentaient de les transpercer pour les faire tomber - vers une mort certaine.

Le Kampaku (régent et conseiller en chef de l'Empereur) tenta à plusieurs reprises de le remettre dans le droit chemin, mais chaque fois Yôzei se bouchait les oreilles pour ne pas entendre les remontrances...

En 884, on considéra que l'Empereur était indigne de régner. Prétextant une course de chevaux, on l'envoya en retraite dans un palais. Sur place, le Kampaku Fujiwara no Mototsune annonça à l'Empereur qu'il était détrôné ; en entendant la nouvelle, le monarque déchu pleura amèrement.

En 889 l'ex Empereur devint complètement fou : il aurait garroté une femme avec les cordes d'un instrument de musique pour jeter la malheureuse dans un lac, il piétina les gens qui ne s'écartaient pas assez vite de son cheval et chassa des cerfs Sika dans les montagnes (cerfs tachetés considérés comme sacrés car censés être les messagers des Kami).

Yôzey décéda dans sa retraite à l'âge de 80 ans.

- Le Général Taira no Tomomori (1152 - 1185) était le commandant en chef des Taira durant la guerre de Genpei.

Il remporta plusieurs batailles contre les Minamoto mais sera défait lors de la bataille de Dan-no-Ura. Préférant la mort plutôt qu'être capturé, il se suicidera en se jetant à la mer avec une ancre attachée au pied (une scène de prédilection pour le théâtre Kabuki et les artistes japonais).

The Ghosts of the Taira's Clan (with, at the centre, the General Taira no Tomomori)
Estampe d'Utagawa Kuniyoshi représentant les Fantômes du Clan Taira (dont Taira no Tomomori au centre, accompagné de son ancre). À gauche, ont peut voir également des crabes à visage humain ; il s'agit de crabes Heikegani.

- Les crabes Heikegani sont une espèce de crabes japonais dont la carapace est ornée d'un motif ressemblant à un visage humain. Selon la légende, ces crustacés seraient la réincarnation des guerriers du Clan Taira tombés au cours de la bataille de Dan-no-Ura. On peut d'ailleurs trouver des estampes où ces fameux crabes sont en train d'attaquer les navires du clan adverse, entourés de Fantômes vengeurs.

- Antoku (1178 - 1185) est devenu le quatre vingt et unième Empereur à l'âge de un an. Il est placé sur le trône par son grand-père Taira no Kiyomori, qui devient régent (et dirige donc le Japon en sous-main). Cette intronisation sera vivement contestée et provoquera la guerre de Genpei.

En 1183, la capitale est prise par l'ennemi et les Taira sont obligés de fuir (emportant avec eux les Trois Trésors Impériaux). Ils seront vaincus à la bataille de Dan-no-Ura et préféreront le suicide à la capture. L'Empereur se noiera dans les bras de sa grand-mère Taira no Tokiko. Cet évènement marque le début de l'ère des Samouraï.

- Taira no Tokuto (1155 - 1213) était considérée comme la dernière survivante du Clan Taira. Avant qu'elle ne puisse se suicider et rejoindre les autres Taira dans la mort, elle est récupérée à l'aide d'un râteau (qui a agrippé ses cheveux) ; l'un des trois trésors (le miroir Yata-no-Kagami) est sauvé du même coup. Elle terminera sa vie dans le couvent Bouddhiste de Jakko-in.

- Pour faire bref (je développerai dans un article futur) Ryujin (littéralement : "Dragon Divin") est le Kami des mers, des océans et des Esprits de l'Eau. Il réside dans un palais sous-marin appelé Ryugu-jo et est servi par les poissons, tortues de mer et méduses qui résident à ses côtés. Il est également le père de la Megami Toyotama-hime, qui épousera Hoori (ou Hoori-no-Mikoto), le plus jeune fils du Kami Ninigi-no-Mikoto. Le petit-fils de Toyotama-hime et Hoori deviendra le premier Empereur du Japon : le fameux Empereur Jinmu (ce qui fait des souverains du Japon les descendants de la Kami Solaire et d'un Dragon Divin).

- Dans le conte intitulé : "Le Cristal de Bouddha", l'Empereur de Chine offre à la Princesse Kohaku (ou Tamatori) le Menkofuhai (un cristal qui refléte l'image d'un Bouddha chevauchant un éléphant). La Princesse, ravie, décide d'envoyer ce cadeau au temple de son pays natal mais en chemin le navire est pris dans une tempête soudaine et le joyau disparaît dans les flots. En apprenant la nouvelle, la Princesse soupçonne Ryujin d'être à l'origine de ce coup de tabac improvisé. Après mûre réflexion, elle décide d'aller récupérer le joyau elle-même (une version détaillée de ce conte vous sera racontée dans un article futur consacré au Dragon Divin).

La Kusanagi-no-Tsurugi à la loupe :

Arme de légende, la Kusanagi porte de nombreux noms. Les deux plus connus étant bien entendu : Kusanagi-no-Tsurugi ("L'Épée Trancheuse d'Herbe") et Ame no murakumo no tsurugi (l' "Épée du Ciel aux Nuages Regroupés" ou "L'Épée des Nuages du Paradis Réunis"), son nom d'origine. La lame est plus rarement appelée : Tsumugari-no-Tachi (littéralement : "Sabre de la Récolte des Blés de la Capitale").

Yamata no Orochi
Illustration de Kristopher P. Love.

Outre son nom, on sait que l'arme était une lame de type "Tsurugi" : une épée droite courte à double tranchant, typique des armes forgées durant l'Âge de Bronze du Japon.

Si l'on connaît sa forme, son matériau de fabrication reste malheureusement inconnu. Plusieurs hypothèses ont été formulées à ce sujet. Hormis le bronze, la lame aurait pu être faite de fer météoritique comme l'ont été les premières épées de fer. On pense également au minerai de fer extrait des montagnes. Selon certaines légendes, la forme décapitée de Yamata-no-Orochi aurait inspiré la création du Tatara : un bas fourneau (four à combustion interne) permettant de transformer le minerai de fer en fer métallique. Cette technique serait donc arrivée bien avant l'apparition des premiers sabres japonais. Une autre hypothèse veut que l'arme a été fabriquée avec du Satetsu (littéralement : "Sable de Fer") : des paillettes de fer qu'il fallait récolter dans les rivières ou en bord de mer. On pense d'ailleurs que la découverte de l'épée dans la carcasse de Yamata-no-Orochi était une métaphore à ce sujet. Le Dragon symbolise les vallées et rivières d'Izumo, tandis que la moisson ferrugineuse qui a permis de forger l'arme représente l'arme en devenir récoltée dans les entrailles du pays.

Maints auteurs pensent que l'arme a été importée au Japon (les premières lames du Pays du Soleil Levant sont inspirées d'armes chinoises et mongoles).

L'hypothèse la plus originale est que la Kusanagi était faite en Hihiirogane (littéralement : "Métal Couleur Soleil"), un métal liquide légendaire qui a pour propriété de se modeler selon les pensées des gens. L'arme une fois forgée avec un tel matériau devient plus dure que le diamant, ne rouille jamais, conserve sa forme originelle et irradie d'un éclat pareil à celui de l'astre solaire.

Scott Littleton (pour plus d'informations à son sujet, veuillez consulter les "Informations complémentaires" du chapitre intitulé : "Symboliques de Yamata-no-Orochi") compare l'épopée du Prince Yamato Takeru (qui a eu l'honneur de brandir la Kusanagi dans sa campagnes contres les "barbares") à celle du Roi Arthur armé d'Excalibur.

Rappelez-vous l'épisode où le Prince Takeru se rend dans l'ancienne Province de Sagami (appelée de nos jours : Préfecture de Kanagawa) et se voit invité à une partie de chasse où il finit cerné par les flammes. Le moment où il tranche les herbes afin de créer un coupe-feu est chargé de symboliques : les herbes représentent les ennemis du Prince qui tombent fauchés par ses coups tandis que l'épée incarnerait les conquêtes réalisées par l'Empire du Japon (et la soumission des tribus rebelles), qui remporte la victoire grâce aux épées de fer, nouvellement introduites dans le pays.

Outre le fait qu'elle est un symbole de vertu et de courage, la Kusanagi est avant tout l'un des Trois Trésors Impériaux du Japon. L'arme est indispensable pour introniser un nouvel Empereur et prouver sa légitimité (le présent de la Kami Solaire confirme qu'il est l'un de ses descendants). Selon certaines traditions Shinto, l'arme permet également au souverain d'entrer en contact avec Amaterasu (ou tout autre Kami). Elle relie donc la Terre, domaine des hommes, au Ciel, domaine des Kami. L'historien japonais Kitabatake Chikafusa va plus loin en affirmant qu'Ame no murakumo serait l'incarnation d'Atsuta Daimyojin (le Kami du Sanctuaire d'Atsuta), voire Amaterasu elle-même !

Sachant cela, comment un nouvel Empereur peut-il être nommé si l'épée a coulé en 1185, lors de la bataille de Dan-no-Ura ? Et bien, après ces évènements tragiques, la Kusanagi aurait été repêchée (en 1348) par des pêcheuses de perles. Mais était-ce vraiment la Murakumo ou une autre lame ayant appartenu à un des guerriers tombés durant la bataille navale ? Il faut également savoir que l'épée impériale avait été répliquée par le dixième Empereur du Japon Sujin Tenno. Donc, l'arme qui sert à introniser l'Empereur du Japon depuis la fin de la guerre de Genpei est-elle l'originale ou la réplique forgée à la demande de Sujin Tenno ? Nul (ou presque) ne le sait puisque le Famille Impériale entretient le secret à ce sujet. La dernière apparition connue de la Murakumo date de 1989, lors du couronnement de l'Empereur Akihito (le monarque actuel du Japon) où l'arme a été dévoilée... enveloppée dans un tissu.

Durant l'Ère Edo, un prêtre Shinto prétendit avoir vu l'épée fabuleuse. Selon lui, l'arme avait une teinte blanc-métallique, mesurait 84 centimètres de long et était pareille à une "Tsurugi à la lame brillante et bien maintenue en forme de jonc". Peu de temps après, le prêtre succomba à un mal mystérieux. On supposa qu'il s'agissait d'une malédiction qu'il avait reçue pour avoir brisé un interdit (on l'a peut-être également puni pour ne pas avoir su tenir sa langue).

Kusanagi no Tsurugi
Création de Saeed Jalabi où l'on peut voir un étrange personnage (probablement un Kami) portant la Kusanagi-no-Tsurugi (présentée sous la forme d'un Katana).

L'emplacement de l'arme est également une énigme vu qu'elle a beaucoup voyagé à travers les siècles (perdue, retrouvée, transférée au palais, dans un sanctuaire, ...). Actuellement la Kusanagi pourrait se trouver dans plusieurs endroits : au Palais Impérial de Tokyo, au Sanctuaire d'Atsuta (situé dans la ville de Nagoya), au Sanctuaire d'Isonokami-Jingu (où est déjà conservé le "Sabre de Dix Longueurs"), au Sanctuaire d'Ise (le plus important Sanctuaire Shintoïste du pays où se trouve le miroir Yata no Kagami), ou tout simplement au fond de la baie de Dan-no-Ura...

Lorsque l'Empereur part en voyage, ce dernier emporte parfois un coffret censé contenir la Kusanagi (mais étant donné qu'il ne l'ouvre jamais devant des témoins, il pourrait aussi bien contenir tout et n'importe quoi).

En 1945, lors de la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Empereur Showa Tenno (mieux connu en Occident sous le nom d'Hirohito) donna l'ordre à quelques fidèles de protéger les Trésors Impériaux à tout prix. Le souverain craignait que ces artefacts ne soient entreposés dans quelque musées, ou pire, volés pour que s'achève avec lui la Dynastie Impériale. Les personnes chargées de cette tâche ont donc pu voir les trésors de près. Malheureusement ils ne donnèrent aucune information à ce sujet.

La localisation exacte de l'arme ainsi que sa forme précise restent donc un mystère...

Voici enfin que se termine la série de chapitres consacrés à la Kusanagi-no-Tsurugi. Pour la suite, je ne pouvais pas manquer de parler plus en détail du belliqueux frère d'Amaterasu...

Informations complémentaires :

- Avant qu'on ne découvre comment chauffer suffisamment le minerai de fer (appelé fer tellurique), le fer trouvé dans les météorites (notamment les météorites ferreuses appelées Sidérites) était l'une des rares sources de fer utilisable.

On employait ce matériau pour forger des objets rituels, des outils, des armes et ce bien avant le début de l'Âge du Fer (qui a débuté en -1100 dans le Bassin Méditerranéen et en -800 ou -700 en Europe du Nord). Les plus anciens objets forgés à partir de fer météoritique dateraient de 6000 ans !

- Le mot Tatara désignait à l'origine un soufflet. Il fera plus tard référence au fourneau entier. La forme du Tatara varie selon les périodes mais l'on peut le voir comme une bassine rectangulaire percée de trous servant à placer des tuyères (embouts métalliques) afin d'insuffler de l'air dans la cuve grâce aux soufflets.

- Pour ceux qui ne connaissent pas Excalibur (qui porte bien d'autres noms comme Excalibor ou Chastiefol), elle est l'épée d'Arthur, le Roi des Bretons. L'arme est réputée incassable et capable de trancher n'importe quelle matière. La lame est accompagnée d'un fourreau qui confère à son porteur une protection contre toute blessure.

Cette arme merveilleuse est présente dans de nombreux récits et possède une connexion avec les mythes celtiques d'Albion (ancien nom de l'Angleterre)... mais ça c'est une autre histoire.

Chastiefol
Pour changer un peu, voici une illustration d'Alan Lathwell représentant le Roi Arthur en train d'extraire Excalibur de son rocher (avec l'Enchanteur Merlin en arrière-plan). Petite précision à ce propos, l'épée dans la pierre et Excalibur sont considérées dans la plupart des versions comme deux armes bien distinctes.

- Kitabatake Chikafusa (1293 -1354) était un Kuge (classe d'aristocrates japonais qui a prédominé à la Cour Impériale jusqu'à l'avènement du Shogunat au XIIème siècle) et un historien japonais.

Chikafusa aura conseillé cinq Empereurs et écrit le "Jinno Shotoki", une œuvre racontant l'histoire du Japon. On trouve également dans cet ouvrage des précisions sur les divers Empereurs, le Shintoïsme, le tout teinté d'opinions politiques en faveur de l'impérialisme.

Ses critiques du Shogun et de sa famille (qu'il considère comme grossiers et de mauvaise lignée) lui vaudront quelques ennuis, notamment lorsque le Nonante Sixième Empereur, Go-Daigo décèdera en 1339. La forteresse de Chikafusa sera prise d'assaut par les partisans du Shogunat. Loin de n'être qu'un "simple gratteur de papier", il commandera ses troupes et tiendra l'ennemi en échec pendant près de quatre ans. Lorsque sa demeure s'effondra, il s'enfuira pour rejoindre le jeune Empereur Go-Murakami (1328 - 1368) et le conseillera jusqu'à sa mort.

- L'Empereur Go-Daigo (1288 - 1339), inspiré dès son jeune âge par les écrits du "Nihon Shoki" sur son ascendance divine (descendant d'Amaterasu), tentera de rendre à l'impérialisme sa gloire et sa puissance d'antan.

Il lancera un premier coup d'état contre le Shogunat en 1324 mais sa tentative se soldera par un échec. Il niera par la suite avoir eu connaissance du complot et restera donc libre. En 1331, sa seconde tentative sera dénoncée par un proche. Résigné, l'Empereur cachera les Trois Trésors Impériaux et lèvera une armée pour affronter la troupe du Shogunat. Vaincu, Go-Daigo sera envoyé en exil dans les Îles d'Oki (actuelle Préfecture de Shimane) dont il s'évadera pour former une nouvelle légion sous ses ordres. Pour mater cette nouvelle rébellion, le Shogunat enverra un commandant capturer l'Empereur mais le soldat trahira le Bakufu pour rejoindre la cause de Go-Daigo. Ce retournement de situation provoquera la chute du Bakufu qui finira capturé.

De retour sur le trône, l'Empereur tentera d'instaurer une dictature impériale (similaire à celle de Chine à l'époque). L'exclusion des Samouraï de la politique et ses nouvelles réformes provoqueront de nombreuses dissensions qui ramèneront de nouveaux conflits. L'Empereur acculé s'enfuira dans les montagnes de Yoshino (Préfecture de Nara) pour fonder la Cour du Sud, en opposition à la Cour du Nord de Kyoto. Le monarque s'éteindra quelques années plus tard en 1339 pour abdiquer en faveur de son fils Go-Murakami.

Détail amusant, Go-Daigo, dans sa fuite, tentera la réconciliation en envoyant les Trois Trésors Impériaux en gage de bonne foi (juste avant de fonder la Cour du Sud). Au final les "trésors" n'étaient que de vulgaires contrefaçons puisque l'Empereur avait gardé les originaux avec lui.

- Il est difficile de trouver des données sur le Kami Atsuta Daimyojin. Selon l' "Historical Dictionary of Shinto" (rédigé par Stuart Picken), le sanctuaire serait habité par une Megami qui était à l'origine Yang Guifei (719 - 756), la concubine préférée de l'Empereur de Chine. Le monarque aurait planifié la conquête du Japon mais distrait par la beauté de son amante, il fut incapable de gouverner correctement et le Japon fut tiré d'affaire.

Une autre version prétend que le Prince Yamato Takeru (voir les "Informations complémentaires" du chapitre précédent pour en savoir plus à son sujet) se serait réincarné en Megami sous les traits de Yang Guifei (en rapport probablement avec l'épisode où il s'est travesti en femme pour leurrer des rebelles).

- Empereur Showa Tenno (1901 - 1989), mieux connu sous le nom d'Hirohito s'est rendu tristement célèbre pour les atrocités qu'il a autorisé durant son règne. On peut citer les vivisections et expérimentations faites sur les prisonniers chinois, coréens et russes (femmes et enfants compris) ; l'invasion de la partie orientale de la Chine en 1937 qui provoquera plus de deux millions de morts, l'autorisation d'utiliser des armes chimiques sur les civils, ... bref, la liste est longue.

À la fin de la guerre (en 1945 donc), Hirohito annonce la défaite du Japon. Le Général américain MacArthur consent à absoudre l'Empereur et ses proches des crimes de guerre commis en leur nom en échange de leur pleine et entière collaboration (une décision qui en fera grincer des dents plus d'un).

C'est sur ces "quelques" informations complémentaires que s'achève la seconde partie. Pour la suivante (que vous pouvez aller lire directement en vous rendant au lien suivant), vous découvrirez plus en détail le Kami des Tempêtes, les cousins éloignés du Dragon de Koshi, sans oublier la liste (fort chargée) de livres, jeux, films, ... où figurent les principaux épisodes et acteurs de la mythologie Shintoïste.

Remerciements :

Cet article (ainsi que l'ensemble de mon travail) est dédié à Pavel, mon cher familier qui a vu la naissance et l'évolution de mes études mythologiques. Puisse-t-il rester à mes côtés et me donner courage et inspiration pour de nombreux autres textes.

Pour la rédaction de cette partie, je remercie :

- Matthew Meyer, pour sa documentation fort complète concernant les Yokai et pour m'avoir accordé l'utilisation de son illustration d'Amanozako (visible dans la prochaine partie).

- Les différents artistes (cités sur chaque illustration) dont les créations ont pu égayer cet article.

- Mon père et Val pour leur aide précieuse dans la relecture et correction finale.

- Et mes lecteurs qui je l'espère apprécient cette exploration des mythes du Pays du Soleil levant.

Idraemir